Thursday, October 27, 2011

YANNA (French)

YANNA


Une journaliste Belge est invitée au domicile d'un professeur Suisse, mais elle trouve l'homme bien trop mort pour qu'il puisse mot lui dire.
Ce qui commence par un banal fait divers local, devient un drame mondial, mais se termine sur un point d’espoir.







Le début.

Quand Yanna, à Bruxelles, sonna à la porte du Dr. Andersen, on ne répondit pas, bien qu'il lui eût dit de venir le plus tôt possible. Elle insista et frappa à la porte et se rendit compte, alors, que la porte n'était pas fermée. Elle entra et vit l'appartement en grand désordre. Au salon, le Dr. Andersen gisait au sol. Mort. Très mort même, tué par deux balles dans la tête. Yanna en avait vu d'autres, des vertes et des pas mûres, dans sa carrière de journaliste, dont la plupart à l'étranger.

Elle ne savait pas beaucoup d'Andersen, à part le fait qu'il était Suédois, célibataire. Avait une vague amie quelque part en Italie. En plus, il avait une certaine notoriété comme politicologue. Yanna l'avait rencontrée une demi-douzaine de fois après qu'il eut fait quelques déclarations plutôt controversielles lors de conventions des Nations Unies. Ensuite, ils eurent quelque correspondance écrite.

Sur l'écritoire, elle trouva un ordinateur portable encore allumé et, à côté ainsi que par terre, quelques CD qu'instinctivement, elle mit dans son sac à main. Des yeux, elle fit encore un tour des lieux avant de ressortir de l'appartement en prenant bien soin de fermer la porte derrière elle.
Elle n'avait pas envie d'alerter la police et de courir le risque d'être suspectée de meurtre. De toute façon, il faudra quelque temps avant que quelqu'un ne découvre le savant cadavre.
Elle prit le tramway numéro six direction de la gare. Trois heures plus tard, elle descendait du TGV "Thalys" à Paris et héla un taxi qui l'emmenait à son appartement, Avenue Foch.

Elle quitta ses vêtements un peu "formels"pour un jeans, un t-shirt et s'installa pieds nus à son ordinateur. Elle inspecta les CD emmenés de chez Andersen, mais elle ne trouvait que des textes des conférences d'Andersen. Un seul CD mis à part: une assez jolie collection de jolies filles, image par image, dont la dernière était sous-titrée du mot "CODE". Yanna ne sut pas trop bien qu’en penser et appela sa meilleure amie, Rina, personnage chaotique au plus haut degré mais informaticienne chevronnée. Ensuite, elle prit une enveloppe qu'elle gardait dans un tiroir de son écritoire, une lettre reçue quelques semaines auparavant, du Dr. Andersen qui lui avait dit que le papier pourrait lui servir un jour. Il y avait ajouté que, s'il s'avérait qu'il lui manquerait quelque chose, elle le trouverait à condition de bien regarder partout. La lettre contenait aussi une longue rangée de chiffres et de lettres.

Rina, comme souvent, était habillée façon "Je m'en balance" d'un gros pull-over d'hiver bien qu'en été, une paire de shorts trop courts, sandalettes de plage en plastoc rose, cheveux ébouriffés, ses lunettes d'épaisseur de fonds de bouteilles de coca-cola, une musette de récupération de l'armée.

- Y'a le feu ? demandait Rina.
- Pas encore mais il y a quelque chose que tu pourrais m'aider à comprendre.
- D'accord, mais sers-moi d’abord à boire.
- Café ?
- J'en ai déjà bu un litre ce mâtin.
- Whisky ?
- Bonne idée.

Yanna servit son amie et laissa la bouteille sur la table. Rina se mettait son Whisky derrière la cravate d'un seul trait et s'en versa un autre.

- Ivrogne. Dit Yanna.
- Pétasse. Dit Rina.

Rina s'alluma une Gitane Maïs.

- Bon, quelle est cette urgence ? Demanda Rina.
- J'ai un joli petit CD dans mon ordi et je voudrais te demander de le regarder de près ?
- Porno ?
- Non.
- Alors quoi ?
- Aucune idée, mais je voudrais savoir ce que c'est.
- Fais voir.

Rina regarda les photos.

- Pas mal, fit Rina, mais j'aurais préféré sans les bikinis. Ne me dis pas que je viens de traverser toute la ville pour ne voir que ça.
- Non, je veux savoir ce qu'il y a de plus sur ce CD, voyons si tu trouves.

Yanna donna la lettre d’Andersen à Rina.

- Hmmm, fit Rina, ceci me fait penser à une clé d'encryptions.
- Je te laisse jouer avec. Je suis fatiguée et je vais me coucher pour une heure ou deux.
- Fais-moi quand-même un café
- Ok.

Rina se mit au travail pendant que Yanna se coucha dans les bras de Morphée. Trois heures plus tard, Yanna prit une lavette mouillée en pleine figure.

- J'ai trouvé quelque chose. Dit Rina.
- Quoi ?
- Quelque chose.
- Comment, "quelque chose" ?
- Viens voir.Derrière le mot "CODE" sur ton CD, j'ai entré ce qu'il y avait comme clé dans la lettre. Ça me donne "Regarde partout de près", suivi de charabia illisible. Je crois qu'il manque une partie de la clé. Pourtant, j'ai bien regardé partout. Et de près.
- Intéressant.
- Le contenu du message doit être très secret, hein ?
- Je n'en sais rien. La personne dont je tiens le CD est très morte à l'instant.
- Ce qui est un net désavantage, dit Rina. Et maintenant je m'en vais parce que ce soir, j'ai rencard avec quelque chose de mâle, blond, athlétique, un mètre quatre-vingt-cinq, vingt-huit ans et qui semble avoir de l'oseille.
- Et toi, tu en as trente-cinq, tu fais un mètre soixante-cinq, grisonnante, myope, mal habillée et tu as un gros cul.
- Ce qui ne peut être mieux, au moins j'ai bon goût, moi. Dit Rina, et les cadavres morts ne m'intéressent pas.

En sortant, Rina manqua de justesse la bouteille de Whisky vide que Yanna lui lança à la tête, Yanna n'aurait jamais lancé une bouteille pleine.
Yanna ne savait pas bien quoi faire, maintenant. Elle avait un CD de photos, un texte illisible et la tête pleine de points d'interrogation.
Andersen avait écrit: "Regarde bien partout, de près".
Elle ne savait pas vraiment où regarder. Le texte ne lui disait rien, les photos étaient plutôt ordinaires. Elle imprima les quarante photos en A4 et les regarda une à une à la loupe. Rien de spécial à voir, cette seule fille mise à part, peut-être, celle qui portait des lunettes. Elle ressemblait un peu à Yanna, mais Yanna était blonde, l'autre brunette.
Mais comme elle continuait à regarder la photo, elle commençait à trouver l'image de plus en plus ressemblante. Et de très près. Aux alentours du cou, quelque chose ne collait pas, ça sentait le Photoshop. ce n'était pas son corps, non, mais sa tête, si. Quelqu'un y avait ajouté une perruque et des lunettes. C'était bien elle.
Andersen avait écrit: regarder partout.

- Voyons partout donc, pensa Yanna et elle commença à étudier la photo dans tous ses détails. Il n'y avait pas grand-chose à voir à première vue, mais, à l'arrière-plan, elle voyait une voiture garée, portant une plaque d'immatriculation Belge, ancienne, lisible : 9R738. Elle nota ce numéro et voulait appeler Rina. Yanna se rappelait que Rina devait être en pleine activité de draguage et ne serait plus visible dans les quarante-huit heures à venir. Yanna se mit une paire de chaussures, un pull, prenait son sac et s'en alla visiter un restaurant pas trop loin de là.

Un dîner et une bouteille de vin plus tard, Yanna sortait de l'ascenseur pour trouver Rina, assise par terre, devant sa porte, le regard orageux. Yanna ne dit rien, mais ouvrait sa porte et fit entrer son amie.

- Un problème ? demanda Yanna.
- Imbécile, crétin, fils de glotchmol, entubé, bouffon qui pète plus haut que son cul.
- Tu veux boire un coup ?
- Oui.
- Avoir bon goût peut aussi avoir ses désavantages...
- Tais-toi.
- Raconte, au moins.
- Pas la peine, après trois heures d'entendre une incessible histoire qui devait illustrer ses exploits dans l'Armée de l'Air, j'en avais tellement marre que je me suis barrée.
- On apprend tous les jours.
- Oui
- Et as-tu trouvé quelque chose dans l'entre-temps ? Demanda Rina.
- Peut-être, viens voir.

Yanna montra à Rina ce qu'elle avait trouvé. Rina ajoutait les chiffres à la clé qu'elle avait déjà et recommençait sa procédure de déchiffrage. Le résultat était différent. Yanna lisait:

Chère Madame Vangaver,
Si Vous lisez ceci je n'ai probablement plus la possibilité de communiquer avec Vous d'une autre façon. Le moment sera venu pour que Vous, en tant que journaliste que je connais bien et en qui j'ai confiance, publiez des documents de la plus haute importance. Tout Vous expliquer ici ne serait pas pratique, prendrait trop de temps et Vous semblerait incroyable. Alors, il faut que Vous obteniez les documents papier d'origine avec en-têtes, cachets et signatures.
Pour des raisons de sécurité, j'ai confié ces documents à un collègue, le Dr. Hans Schepple, 44, Rue du Lac, Genève, Suisse. Schepple ne connaît pas le contenu de ces documents. Il sait qu'il doit Vous les confier. Publiez-les, en leur entièreté, au plus vite.
Je Vous remercie et que Freya Vous garde.
Knut Andersen.

- Eh bien! fit Rina.
- Nom d'un Chien, dit Yanna, dans quel guêpier me suis-je fourrée ?
- Tu sais quoi ? demanda Rina.
- Quoi ?
- Oublie toute cette affaire, bourre-toi la gueule et dis-moi que tu m'aimes.
- Hé, je ne suis pas lesbienne.
- Moi non plus, mais ça sonne bien.
- Tu restes dormir ici ?
- Oui
- Veux-tu que j'appelle un service de "compagnie" pour dames ?
- Tu es malade ?
- Va te coucher, ivrogne.
- Pétasse.

Le Dimanche mâtin avait l'intérieur de la bouche en carton. Rina avait l'air d'avoir été écrasé par deux camions de pompiers. Yanna, elle aussi, montrait qu'elle avait fêté son trente-quatrième anniversaire, il y a quelques années déjà. Toutes les deux avaient voulu faire carrière et l'avaient faite mais les hectolitres de café noir, le whisky, le tabac et la Benzédrine avaient laissé leurs traces.

Une demi-heure plus tard, elles étaient assises à table. Café, cigarette, croissant au beurre salé. Encore du café. Yanna appela info SNCF et se fit réserver une place dans le train de 14:30 pour Genève. Rina lui demandait si elle était devenue folle.
Yanna envoya un courriel à la rédaction de son canard. Dans sa chambre, elle s'habillait en pékin: jeans, soutien-gorge "sport", petite culotte imprimée "Sortie d'engins" côté cul, t-shirt, brodequins Aigle, veste à trois cent cinquante poches, contenant sa caméra Minox DSC, pile de réserve, couteau suisse, lampe de poche, iPhone, outils divers, Bic, bloc-notes et autres choses. Son MacBook Pro dans son sac de voyage. Discrète donc, comme un clown de cirque dans un troupeau de nonnettes.

Rina lui commença une tirade de "Ne te mêles pas de ça... cadavres…morts... mystères…mystérieux... dangereux terroristes...politicards socialistes belges...fromage Suisse à trous étcétéra, étcétéra.
Yanna répondit qu'elle humait un "scoop".
Leur déjeuner se composait de pâtes et d'eau d'Evian et Rina amenait Yanna à la gare avec sa vieille coccinelle VW 1600. Le train partit à temps.

Il faisait déjà soir quand Yanna trouvait une chambre dans le vieil hôtel Cornagnôle. Après son repas du soir, elle décida d'aller boire encore un verre dans le bar de l'hôtel, ou un vieux pianiste faisait de son mieux pour ne pas se faire tirer dessus. Au comptoir, Yanna se commandait un Margarita.

- Bonne idée, dit un homme, en Français, en venant s'asseoir au bar, lui aussi.
- Pardon ? fit Yanna.
- Un Maragarita est une bonne idée. Dit-il.
- Toujours, fit Yanna.

Il la regardait, elle le regardait aussi. La quarantaine, blond foncé, cheveux courts, grand, solide, jeans, chemise blanche impeccable, rasé de près, montre Omega au bras droit, pas de bague au doigt, chaussures Hush Puppy, briquet Zippo, cigarettes LM. Yanna décida de ne pas être intéressée.

- Je m'appelle Eric Vernier, dit-il, journaliste à l'Echo du Valais.
- Yanna Vangaver, Le Figaro.
- Le Figaro, ce n'est pas rien.
- Un boulot comme un autre.
- Oui, probablement. Etes-Vous au travail ici ?
- Non, pas encore, peut-être demain.
- Puis-je Vous demander quel sera le sujet de Votre reportage ?
- Si je Vous disais que ça concernerait les habitudes alimentaires des punaises au Moyen Age, je Vous mentirais.
- Haha, je comprends, Vous ne voulez rien dévoiler.
- En effet.
- Prendriez-Vous encore un verre avec moi ?
- Oui, avec plaisir.

Le pianiste jouait "Sentimental Journey" pendant leur second Margarita et, lors du troisième, sur les tons de "Fly me to the moon", Yanna remarqua qu'Eric ne lui faisait pas la moindre approche et ne parlait que de choses et d'autres. Elle n'avait pas l'impression qu'il soit de "ceux-là" parce qu'il avait déjà mentionné une petite amie de l'année dernière et Yanna, soudainement, se demandait si elle ne serait pas trop ternie de sa personne. Elle ne s'était jamais posé la question auparavant. Etrange.
Elle voulait dire quelque chose, mais Eric la coupait net.
- Je Vous souhaite la bonne nuit, dit-il, et s'en fut.

Bien qu'il soit onze heures du soir, il n'y avait pas d'autres clients au bar. Yanna se commandait une autre Margarita et écoutait le pianiste qui, de pure misère, entonnait "Am Schönen Blauen Donau". Yanna aimait la mélodie.



Lundi mâtin, huit heures. Yanna, au restaurant de son hôtel, se vide quelques tasses de café noir avec beaucoup de sucre. Une cigarette et une heure plus tard elle monte dans un taxi qui l'emmène à la Rue du Lac. Le numéro 44 est une vieille maison de maître, grande mais d'aspect banal.
Une jeune dame ouvre.

- Madame ?
- Je suis Yanna Vangaver, je voudrais parler au Dr. Schepple.
- Il Vous attend ?
- Non, j'ai un message pour lui d'un collègue, mais je n'ai pas Votre numéro de téléphone.
- Ce n'est pas grave, entrez, je Vous annonce.

- Bonjour, Madame, dit Schepple, que puis-je pour Vous ?
- Je suis Yanna Vangaver, le Dr. Knut Andersen m'a donné un message pour Vous.
- Je suis le Dr. Schepple. Suivez-moi dans mon bureau, s'il Vous plaît.

Le bureau de Schepple était un immense tas de livres, dossiers et paquets de papiers en dessous desquels était enterré un écritoire.

Dites-moi, qu'est-ce que mon ami Andersen voulait me communiquer ? Je m'imagine qu'il va bien.
Yanna lui montra le message d'Andersen.

- Voilà, dit Yanna. Et à mon grand regret, je dois Vous signaler que le Dr. Andersen est décédé.
- Décédé ? Comment ?

Yanna raconta les circonstances dans lesquelles elle trouva Andersen et comment elle reçut le message en question.

- Voilà mauvaise nouvelle, il était un bon ami, D'autre part, je ne suis pas trop étonné, vu qu'il semblait s'occuper de choses pas très conventionnelles.
Pouvez-vous me remettre les documents en question ?
- Oui, bien sûr, mais ils ne se trouvent pas ici.
- Ah non ?
- Non, je les ai remis à mon notaire, c'est plus sûr qu'à la banque. Je l'appelle tout de suite.
- Merci.

Schepple forma un numéro sur son téléphone, mais n'eût pas de réponse. Pendant qu'il était au téléphone en ne regardait Yanna pas en face, il ne remarqua pas le petit Minox.

- Je suis désolé, dit Schepple, je ne reçois pas de réponse. Je rappellerai plus tard. Comment puis-je Vous atteindre ?
- Je suis à l'hôtel Cornagnôle, donnez-moi Votre numéro. Yanna ne donna pas le numéro de son iPhone.
- Voilà, dit Shepple et donna un billet avec son numéro de téléphone à Yanna.
- Merci. Ayez l'amabilité de m'appeler dès que Vous aurez des nouvelles.
- Je n'y manquerai pas.

Yanna prit congé de Shepple et se retrouva sur le trottoir du boulevard. Son iPhone sonnait.

- Oui ?
- Duvivier. Où êtes-Vous ? Que le patron de Yanna appelle, on pouvait s'y attendre.
- À Genève.
- Qu'est-ce que tu fais là ?
- Acheter du Gruyère
- Arrête
- J'ai trouvé quelque chose de très gros
- Quoi ?
- L'inventeur du slip comestible en fromage
- Arrête de déconner, qu'est-ce que tu as ?
- Franchement, aucune idée
- Donne-moi une bonne raison pour ne pas te licencier sur-le-champ
- Raconter tes affaires amoureuses à ta femme
- Qu'est-ce que tu as ce qui va encore me coûter une fortune en frais ?
- Je viens de te le dire, je ne le sais pas, mais j'y travaille. Je te tiens au courant.

Yanna raccrocha.

Yanna trouvait cela un peu étrange que le Dr. Schepple aurait conservé les documents de façon tellement sécurisée. Il était supposé de ne même pas connaître leur contenu. Il aurait pu les mettre tout simplement dans un tiroir ou dans une armoire quelconque.

Petit restaurant avec vue sur le Lac de Genève et sa fontaine. Soupe aux asperges, steak-frites et salade de laitue, vin, flan vanille, café, cigarette, addition sérieusement poivrée. Yanna décida de s'adonner à un après-midi de lèche-vitrines.
Il faisait beau et chaud, Yanna portait ses lunettes Ray-Ban "Shooter".

- Madame Vanguavère ! L'exclamation fit sourire Yanna. Jamais un francophone ne réussira à prononcer le "g" doux des Flamands correctement. Même les Hollandais n'y arrivent pas, eux non plus.

C'était Eric Vernier, l'homme qu'elle avait rencontré la veille.

- Quel plaisir de Vous rencontrer !
- Bonjour Monsieur Vernier.
- En promenade ? Cherchez-vous quelque chose ?
- Je cherche la quadrature du cercle.
- Hahaha Vous êtes très drôle, Madame.
- Merci, Vous l'êtes aussi.

Vernier fit semblant de ne pas avoir entendu la réponse de Yanna.

- Puis-je Vous séduire à prendre un verre avec moi ?
- Le Richemond a un joli bar. Dit Yanna.
- Pourquoi pas ? C'est à deux pas.

Le Richemond est un des endroits les plus chers de la ville et Yanna espérait que ça aurait rebuté Vernier, mais non.
Les cocktails d'après-midi sont peut-être démodés, mais cela n'intéressait pas Yanna et le barman du Richemond produisit deux Margaritas parfaits à vingt-cinq francs Suisses la pièce.

- À Votre santé !

Yanna n’avait vraiment pas quoi dire à ce Vernier mais, d'autre part, elle ne voulait pas paraître trop impolie à l'égard d'un collègue journaliste. Elle cherchait à dire autre chose que: "Quel beau temps, hein" quand la sonnerie de son iPhone la sauva. Sauvée par Rina. Yanna s'excusa et s'en alla vers le fond de la salle pour pouvoir parler plus tranquillement.

- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Tu t'es faite cambrioler
- Hein ?
- Cambriolée
- Raconte
- Pas grand-chose à raconter. On a forcé la serrure de la porte coulissante de ta terrasse, il y a beaucoup de casse, coussins et matelas éventrés, on cherchait quelque chose. J'avais mis ton CD dans mon sac. Je m'en suis rendu compte quand je venais donner à manger à ton chat. Veux-tu que j'appelle la flicaille ?
- Oui et appelle aussi mon assurance, tu trouveras le numéro dans mon petit calepin bleu sur la table.
- Ok, quand reviendras-tu ?
- Je ne le sais pas encore, prends bien soin de mon chat.
- Je le ferai.
- Merci, je te rappelle plus tard.

Yanna devinait que ce cambriolage pourrait être lié à Andersen.

- Un problème ? Demanda Vernier quand Yanna reprit sa place au bar, vida son verre d'un seul trait et en commanda un autre.
- Mon amie vient de me dire que je me suis faite cambrioler.
- Pas bon. Des dégâts ?
- Oui, beaucoup de dégâts, mais mon assurance s'en occupera.

Eric Vernier, lui aussi, vida son verre et s'en commanda un autre.

- Puis-je Vous aider avec quelque chose ? Demanda Vernier.
- Oui, avez-vous une voiture ?
- Oui
- Donnez-moi Votre numéro de portable.

Eric lui donna son numéro.

- Bon, merci, attendez-moi ici, ce ne sera pas trop long, je Vous expliquerai.
- J'attendrai.
- Merci.

Yanna prit un taxi qui l'emmena à son hôtel, où elle demanda au réceptionniste de lui faire une réservation pour le premier train en partance à Paris en de préparer sa note. Elle s'en fut prendre ses bagages, paya sa note et prit un taxi pour l'emmener à la gare. Là, elle traversa la gare entière, vers la sortie de derrière et appela Eric.

- Eric ?
- Oui.
- Tu me trouves sur un banc dans le parc derrière la gare.
- Entre les drogués ?
- Oui, viens vite.
- J'arrive. J'aime bien que tu me tutoyes.

Dix minutes plus tard, Yanna plongea dans la Volkswagen d'Eric.

- Et maintenant ?
- L'idéal serait de trouver une petite pension où quelque chose de ce genre mais je ne sais pas si cela existe encore de nos jours.
- Je connais une vielle dame qui loue une chambre mais ne t'attends pas à quelque chose de luxueux.
- Aucune importance.

La chambre, en effet, n'avait rien de spécial: lit, armoire, table, deux chaises, lampe, cendrier. Le tout très vieux mais aussi très propre. La vieille dame, qui semblait bien connaître Eric, était très gentille mais voulait être payée d'avance. Yanna lui donna deux cents francs et demanda de lui apporter à boire. Un peu plus tard, la dame apporta une bouteille de "prune", une bouteille d'eau et deux verres.

- Bon. Dit Eric. Qu'est-ce qui se passe ?
- Un instant. Dit Yanna. Quel est le numéro des infos téléphone ?
- Le 1818. Yanna appela les infos et demanda le numéro du journal d'Eric, l'Echo du Valais. Eric la regardait d'un air étonné.

- La Rédaction ?
- Oui, Madame.
- Je me trouve en compagnie d'un homme qui prétend être journaliste pour Votre journal et s'appeler Eric Vernier. Le connaissez-Vous ?
- Qu'est-ce qu'il a encore fait, celui-là ?
- Il n'a encore rien fait, mais pourriez-Vous me décrire la personne de l'Eric Vernier que Vous connaissez ?

L'homme au téléphone donna, mort de rire, une description très précise d'Eric.

- Je Vous remercie.
- À Votre service, Madame.

- Je te prie de me pardonner, mais je trouvais ça nécessaire.
- Ce n'est pas grave, mais pourquoi ?
- Je crains pour ma vie et je ne veux pas de police autour de moi.
- Çà, c'est grave.

Yanna raconta toute son histoire. Elle finit en disant qu'elle espérait, avec l'aide d'Eric, d'avoir mis de possibles curieux sur une fausse piste quant à où elle se trouvait en donnant l'impression d'être partie pour Paris.

- Qu'est-ce que tu comptes faire ?
- D'abord voir si ce Schepple a pu contacter son notaire et après, je verrai. Il faudra que tu m'aides. Je me demande pourquoi il aurait gardé les documents chez un notaire.
- Tu me donne l'exclusivité de ton histoire ?
- Oui, mais pas du reste.
- D'accord, tu peux compter sur moi. Dis-moi quoi faire.
- Retourne au Cornagnôle. Je t'appellerai, Je te demanderai au téléphone comment tu vas. Tu dois me répondre que tu vas mal. Si tu me dis que tu vas bien, je saurai que tu es compromis d'une façon ou d'une autre et alors je disparais.
- Compris.
- Bonne nuit.
- A toi aussi, à demain.

Eric quitta la maison, Yanna se versa un verre de "prune" et s'alluma une cigarette. Sur son ordi portable, elle se connecta à l'Internet par son iPhone et consulta le site du Journal "Le Soir" en Belgique. Elle ne trouva aucune mention du meurtre d'Andersen.
La seule chose qui retint son attention fut un article sur une épidémie de grippe en Chine et une grande partie de la Fédération Russe qui aurait déjà fait des millions de morts, ce qu'elle trouvait étonnant.
Elle quitta son jeans, ses chaussures et son soutien-gorge et essaya de s'endormir.

Le lendemain mâtin, la vieille dame lui apportait une tasse de café et un croissant. Alors, elle pensa à quelque chose. Elle "Googlait" le mot "Schepple" sur son MacBook / iPhone. Elle trouva le Prof. Dr. Hans Schepple, auteur de bla bla bla ... et une photo qui ne ressemblait pas du tout à ce qu'elle avait sur l'écran de sa caméra Minox. Elle appela Eric.

- Oui ?
- C'est moi, Yanna, comment vas-tu ?
- Je vais très mal. Je me suis enrhumé.
- Peux-tu venir ici ?
- Oui
- Bien, je t'attends
- J'arrive.

Yanna fit voir les deux photos à Eric dès qu'il entra chez elle.

- Intéressant, mais qu'est-ce qu'on en fait ?
- Je te parie qu'il n'y a plus personne dans la maison de Schepple.
- Tu penses ?
- Oui et il y a autre chose aussi.
- Quoi ?
- Que "quelqu'un" savait que Schepple détenait certains documents et voulait s'en rendre maître, ça, je peux le concevoir. Mais que quelqu'un d'autre que Rina et moi-même connaisse la connexion CD - documents - moi, ça me dépasse un peu. À moins que ... Non, ça je ne le crois pas.
- À moins que quoi ?
- À moins que Rina ...
- Qui est Rina ?
- Mon amie depuis toujours
- Elle est au courant ?
- C'est elle qui a décodé de CD d'Andersen.
- Oh, et tu crois qu'elle ferait cause commune avec "l'ennemi" ?
- Non, je ne peux pas m'imaginer ni pourquoi, ni comment.
- En es-tu certaine ?
- Un instant.

Yanna appela Rina.

- Salut, c'est moi.
- Comment vont les choses en Suisse ?
- Bonne question, mais j'ai quelque chose à te demander.
- Quoi donc ?
- Écoute, mettons les choses en place d'abord: 1. Tu décodes le CD et tu te fais chier par un pilote. 2, Tu décodes la seconde partie du CD. 3. Je m'en vais. 4. Tu rentres chez toi avec le CD. 5. Ici, je fais une rencontre qui me fait suspecter que le CD avait une fuite pendant qu'il était dans ta possession. As-tu une idée comment cela serait possible ?
- QUOI ????
- Tu m'as entendue, je n'ai pas d'autre explication.
- Tu es folle.
- Pas plus folle que d'habitude, mais je ne peux pas imaginer une autre explication.
- Tu me croiras ou tu ne me croira pas, mais je n'ai soufflé mot à personne, qui que ce soit.
- Quand tu t'es couchée le lendemain de mon départ, as-tu bien dormi ?
- Comme une souche, pourquoi ? Mais tu viens de me dire quelque chose, là ... attends, laisse-moi regarder quelque chose.
- Ok

Yanna entendit que Rina bougeait une chaise, suivi de quelque cliquement de touches sur un clavier et tout cela encore suivi d'une ribambelle de jurons qui feraient pâlir un maquereau de Paname.

- Sur le "log" de mon ordi, je viens de voir qu'il il y a eu une activité cette nuit-là. Maintenant je comprends pourquoi ce "pilote" réagissait à peine quand je l'ai quitté, fâchée. Et pourquoi j'ai dormi si bien. Ce salaud m'a fait une entourloupe de laquelle je ne me suis pas rendu compte et a dû copier le CD le lendemain ou même pendant que je dormais. Ce qui veut dire aussi qu'il a connaissance de ton existence. J'ai comme l'impression que nous avons à faire à des voleurs pas très ordinaires.
- Non, ceci n'est plus normal. Je te rappelle.

Yanna raconta à Eric ce que Rina venait de dire.

- Hmm ... Disait Eric. Mais cela ne nous avance pas d'un seul pas.
- Je crois, dit Yanna, que ce "Schepple" que j'ai rencontré savait qu'il devait trouver quelque chose, mais ne savait pas exactement quoi. Et il pensait que je l'avais su, moi.
- Ce qui est très bien possible. Qu'est-ce que tu en penserais si je j'irais voir ce Schepple, moi, et voir ce que je peux trouver ? Je trouverai un prétexte pour une visite, et il ne me connaît pas.
- D'accord, à tout à l'heure
- A plus.

Quand Vernier arriva à la maison de Schepple, il trouva deux policiers qui lui interdirent le passage. Vernier montra sa carte de presse et dit qu'il venait en tant que journaliste qui voulait rapporter les faits. À ce moment, deux autres hommes sortaient de la maison et Vernier reconnaissait un commissaire de police, à qui il adressa la parole, Sa carte de presse accomplissait un petit miracle.

- Monsieur le Commissaire, pouvez-Vous me dire ce qui s'est passé ?
- Un double meurtre avec vol, disait le fonctionnaire, un certain Schepple et son employée. Mais je ne peux Vous dire rien de plus. L'enquête doit encore commencer.
- Je comprends mais savez-Vous ce qui a été volé ?
- Tout ce que je peux Vous dire est qu'un coffre-fort a été ouvert. Voilà tout.
- Merci, Monsieur le Commissaire.
- À Votre service.

De sa voiture, Vernier appelait son patron pour lui dire qu'il resterait encore quelques jours à Genève.

- Alors ? Demanda Yanna quand Eric était de retour.
- Tu avais raison. Schepple et son employée se sont fait membres du club des allongés. La police vient de les trouver. Tu as donc rencontré une autre personne.
- Qui, bien sûr, est parti maintenant.
- Eh oui. Et cela semble confirmer ton hypothèse qu' "ils" ne savaient pas vraiment quoi chercher ou trouver. Au fait, nous ne le savons pas, non plus. Comment faire pour avancer maintenant ? Nous avons maintenant trois macchabés et deux cambriolages et je suis tellement curieux que je ne peux absolument pas laisser tomber ça.
- Moi, non plus.
- Prochaine question: que faire ?
- J'ai peut-être une idée.
- Accouche.
- Avec un peu de chance, ce Shepple a un héritier. On pourrait essayer de le contacter et apprendre quelque chose par cette voie-là.
- Oui, ça doit être possible.
- On pourrait commencer par assister aux funérailles dès qu'on saura quand elles auront lieu. On ne peut pas faire grand-chose dans l'entre-temps. Nous sommes Lundi. Donne le médecin légiste deux jours pour l'autopsie et les formalités, un jour pour les croque-mort et le transport, ajoute un jour de réserve, ça fait quatre jours. Je pense que les funérailles auront lieu le Samedi. Il nous suffira d'observer les journaux.
- Bon début, je raconterai tout ça à mon patron, pour être certain de pouvoir rester ici.
- Je vais faire la même chose.
- Et restons séparés pour éviter que l'un n'entraîne l'autre en cas de pépin. J'ai comme l'impression que "la concurrence" ne sont pas les amateurs que nous sommes. Je t'appelle demain.
- Bien.

Eric s'en alla et Yanna se mit à écrire un bref résumé de ce qu'elle croyait devenir une histoire "imprimable" et l'envoya à son patron par courriel.
Il se fit tard et Yanna commençait à avoir faim. Elle sortit et trouva un petit restaurant Chinois où elle se commanda un menu.
Pendant qu'elle attendait d’être servi, elle se demandait, encore, ce qu'Andersen pouvait avoir eu qui étais si important et qui devait être publié immédiatement. De toute façon, c'était quelque chose de suffisamment spécial pour que, déjà, trois personnes se soient faites trucider.



Bill Hinckley et John Woods, deux "Special Agents" qui appartenaient à une obscure "Agency" des Etats-Unis d'Amérique, étaient attablés avec leur supérieur dans un bureau de l'Ambassade des E-U à Bern. Leur supérieur, un certain Colonel Winters n'était pas particulièrement heureux avec ce que ses deux collaborateurs lui rapportaient.

Hinckley s'excusait en disant que, si les autorités Suisses avaient apporté leur aide, on aurait pu perquisitionner comme il faut chez Schepple et aurait certainement trouvé quelque chose.
Winters ne pouvait que répondre qu'il ne faisait que suivre les ordres, lui aussi et qu'ainsi ils n'avaient pas d'autre choix que de suivre la trace de Yanna Vangaver. Il y ajoutait qu'il ne savait même pas, lui non plus, ce qu'il y avait à trouver exactement. Il était donc indispensable que Yanna Vangaver trouve ce qu'elle devait trouver. Ensuite, il ne serait qu'un jeu d'enfant pour récupérer l'objet.

- Mais maintenant on a aussi perdu Vangaver, disait Woods.
- Vous n'êtes pas mieux que la bande de crétins que nous avions en Belgique et en France, dit Winters.

Pourquoi ces imbéciles n'avaient pas emmené tous les CD de chez Andersen, ça, personne ne le savait. Leur explication était qu'ils avaient été surpris et devaient se barrer fissa.

- Soyez tous les deux à l'enterrement de ce Schepple !
- Nous y serons.

Deux jours plus tard, Yanna lut dans un journal que le Professeur Schepple serait enterré le Samedi.
Et pendant que les deux Amerloques s'occupaient de ce qui serait nécessaire pour accomplir leur mission -quelle qu'elle soit- et Eric Vernier pensait à Yanna pendant qu'il essayait d'écrire l'une ou l'autre chose pour son journal en attendant Samedi, Yanna avait acheté quelques journaux qu'elle voulait lire chez elle.

Les journaux ne contenaient que les habituels radots journaleux que Yanna ne connaissait que trop bien et qu'elle-même avait écrit à ses heures. Mi-ennuyée, elle tournait page après page jusqu'à ce qu'elle remarquât un nom qui ne se lisait plus souvent dans les journaux.
Dans un article, un porte-parole de l'Institut Schiller commentait un plan, datant de 1947, par Henry Kissinger, pour diminuer la population mondiale de façon draconienne par l'utilisation visée de famine, maladies et guerres. Yanna ne trouvait ça pas très original. En 1944 déjà, "La Commission Royale de la Population", fut créée par le roi George IV d'Angleterre "pour considérer les mesures à prendre, pour le bien de la Nation, pour influencer la croissance de la population mondiale".

Yanna n'y prêta d'abord pas beaucoup d'attention, mais ne pouvait pas, quand-même, s'abstenir de penser au fait que, maintenant, il est prouvé que des virus comme la SIDA, Ebola et quelques autres saloperies sont des créations purement militaires qui ont même déjà passé le stade du "banc d'essai". Ce qui lui fit aussi penser à cet article d'il y avaient deux jours sur cette épidémie en Chine et en Russie avec ses millions de morts.
Il est évidemment un fait, pensa Yanna, qu'il est impossible de baser une économie, voire une démographie, sur un modèle de croissance éternelle. Ça s'arrête quelque part. Ou ça doit s'arrêter. Ou quelqu'un l'arrête. Que l'on le veuille ou pas.
Alors là, ils ont l'air fins, tous, les philanthropes, les bons-pensants, les religieux, les cons, les exterminés et même les mauvais. Quelque part, un jour, quelque crapule militairo-banquaire prendra une décision et je crains que cela ne dure plus longtemps. Je n'ose pas y penser, se dit Yanna à haute voix.
Elle se versa un verre de "prune" pour s'aider à chasser les mauvaises pensées. Elle appela Eric et lui demanda de venir chez elle. Eric ne tarda pas d'arriver et Yanna lui demanda de l'emmener dîner. Eric ne demandait pas mieux et la conduisit à un charmant petit "Gasthof" en-dehors de la ville.
La cuisine y était bonne, la bière aussi. Eric avait dit quelque chose au sujet du vin Suisse, mais dès qu'il prononça les mots "Fendant du Valais", Yanna avait préféré la bière à ce qu'elle considérait un effroyable vinaigre qui se vend très cher et est totalement imbuvable.
C'est comme le fromage Hollandais fabriqué en France: du caoutchouc jaune qui est trop peu salé. Mieux vaut une tartine au bon beurre demi-sel, mais le beurre est défendu en Hollande. Ça donne un gros cul aux vaches Hollandaises. Maintenant, elles ne bouffent plus que des margarines, minarines et autres vacheries chimiques et elles ont toujours un cul de compétition bovine. Je ne comprends pas les gens.

Yanna, elle, n'a pas un gros cul. Elle a trente-huit ans, les cheveux couleur Labrador blond et elle a, en général un petit air sexy en jupe courte. Trop courte, ce qui lui a valu que Rina l'appelle pétasse.
Célibataire, elle avait eu une douzaine de passages passagers entre ses draps, mais elle n'avait jamais voulu s'attacher à un homme avec qui elle se réveillerait chaque mâtin. D'autre part, elle ne voulait, non plus, devenir vieille fille et pendant qu'elle était ici, en Suisse, elle regardait Eric de temps en temps. Eric, lui, était aussi célibataire, pas vraiment un Adonis mais pas laid du tout. Il lui parut intelligent, gentil, pas prétentieux du tout. Elle croyait qu'elle pourrait le supporter pendant un long voyage même.
Eric était plutôt silencieux et ils terminèrent leur repas.

- Café ? Demanda Eric.
- Est-ce une bonne idée, le soir ?
- Si, à condition de l'accompagner de Cognac.
- Zwei Kaffee und zwei Weinbrand, bitte.

Deux heures, quatre cafés et quatre Cognacs plus tard, Yanna et Eric se trouvaient toujours à table, mais cette fois ils n'avaient pas la tête à l'écriture, ni de ce qui les avait occupés les derniers jours. Eric avait même osé dire que Yanna ne le laissait pas indifférent. Yanna le trouva prudent dans ses dires. Elle-même n'avait pas le tempérament explosif, mais elle sentait attirée quand-même.
Quand ils rentraient "chez eux", Eric avait quelque peine à bien garder le cap en voiture et n'était pas trop certain si, c'était à cause du Cognac ou de la main que Yanna tenait sur son genou droit.

Le lendemain, Yanna se réveillait en entendant le mot "bonjour" à moins de dix centimètres de son oreille gauche et se réalisait qu’elle avait commencé quelque chose qui ne se terminerait pas sous peu.

- Café ? Demandait Eric.
- Café !

La vieille dame leur apporta le café et un petit-déjeuner tout en lui disant qu'il aurait à payer ça en plus. Eric lui donna cent francs. Yanna sirotait son café, mais se leva tout à coup pour prendre son ordi et "voir quelque chose". Dix minutes plus tard les deux regardaient l'écran du MacBook à Yanna. Eric voulait savoir pourquoi Yanna s'attardait sur un article sur un site web d'un journal, article écrit deux ans auparavant, par Knut Andersen, au sujet de la Guerre Biologique.

- Je commence à suspecter quelque chose, dit Yanna.
- Quoi donc ?
- Qu'il soit trop tard.
- Trop tard pour quoi ?
- Trop tard pour tout, toi, moi, tout le monde.
- Yanna, je ne sais pas si je te comprends.
- Il faut s'en aller d'ici. Loin, très loin.
- Comment ça ?
- Tu habites le canton du Valais, n'est-ce pas ?
- Oui, pourquoi.
- Est-ce qu'il y a des hautes montagnes dans le Valais ?
- Oui, bien sûr.
- Alors il faut que nous allions là-bas, maintenant, tout de suite.
- Tout de suite ?
- Oui, allons-y.
- Mais pourquoi ?
- Je t'expliquerai en cours de route.

Yanna ramassait ses affaires et ils s'en furent, sans se préoccuper de la vielle dame, qu'ils considérèrent payée suffisamment en avance.

- Bon, fit Eric, où veux-tu aller exactement ?
- À la montagne, le plus vite et le plus haut possible, équipés pour tenir un bon bout de temps.
- Un bon bout de temps ?
- Une couple de mois, trois, quatre.
- Hein ?
- Tu m'as entendu. Achète quelques journaux dès que tu peux.

Eric ne savait vraiment pas quoi penser et décida que Yanna aurait une bonne raison pour cette "fuite" soudaine. Dans un village, il acheta trois journaux. Yanna les feuilleta.

- Voilà. Dit elle.
- Quoi ?
- Cette épidémie de grippe vient vers nous. Chine, Russie, Ukraine, Pologne, Autriche. Ça va très vite, cette fois-ci.
- Explique !
- Déjà trente millions de morts en Europe. Ceci n'est pas une petite grippe ordinaire.
- Que veux-tu qu’on y fasse ?
- Essayer de survivre.
- Nom de dieu, Yanna, nous sommes loin de là, qu'est-ce que nous en avons à faire ?
- Mon cher petit ami, dit Yanna, je n'ai aucune envie de faire partie d'un redressement forcé de la démographie mondiale. Je veux seulement pouvoir écrire à ce sujet.
- Faudra quand-même que tu me l'expliques à fond.
- Je peux le faire brièvement, si tu veux.
- Commence !
- C'est simple, le monde est totalement surpeuplé. Nous épuisons nos stocks et nos réserves pour nourrir tout le monde, fournir de l'eau et de l'électricité etcétéra etcétéra. Dans l'entre-temps, la population continue à croître, au carré. Il n'y a pas de solution "douce" à ce problème. Et je pense que maintenant, "quelqu'un" ait décidé de résoudre le problème de façon draconienne.
- Comment ça ?
- Simple, tu infectes le monde d'un virus mortel et instoppable, tu vises l'éradication totale, mais tu sais d'avance qu'il y aura des poches de survivants qui auront une chance de repopuler le monde. Et la nature reprendra son équilibre, elle le fait toujours. Et après on recommence toute la merdouille militaire et consumiste ...
- Hmmm ...
- Et je pense qu'Andersen voulait se servir de moi pour publier ce que je viens de dire. Il a dû savoir, lui. On a voulu l'arrêter, bien qu'il était déjà trop tard.
- Tu peux avoir raison.
- Maintenant, roule, il nous faut aller à la montagne. Et l’on a besoin d'un véhicule plus grand, de l'équipement, des réserves.
- Pas de problème pour le véhicule.
- J'appelle Rina.

Yanna appela son amie à Paris et commença à lui expliquer quand Rina l'interrompa.

- Un instant, je te passe Hideki.
- Qui est Hideki ???
- Hallo, je suis Hideki Abe,  je suis l'ami de Rina, je suis Japonais mais je travaille déjà cinq ans à Paris en tant que médecin. Je suis veuf et j'ai deux enfants.
- Je suis Yanna Vangaver, Rina est mon amie depuis toujours. Je ne savais pas que Rina avait un petit ami.
- Nous avons été très discrets et Rina voulait que notre mariage, prévu pour dans deux mois, soit une surprise pour Vous. Nous nous préparons pour aller à la montagne.
- Nous pourrions y aller ensemble.
- C'est une possibilité.
- Re-passez moi Rina s'il Vous plaît.
- La voilà.
- Rina, écoute, dis à ton homme de se procurer un grand véhicule, quelque chose en 4x4 si possible, vêtements chauds, tente pour dormir, des réserves, de l'équipement. Je pense à une absence de trois mois. Tu as mon numéro, viens dans le canton du Valais en Suisse, rends-toi à la commune de Brig. Appelle-moi quand tu arrives.
- Bon, nous partons demain, tôt.
- Je te verrai à Brig.

Les recommandations de Yanna étaient inutiles parce que Hideki s'en était déjà occupé depuis trois jours.
À Lausanne, Eric acheta une camionnette 4x4 de la marque Bremach avec remorque entraînée, d'un commerçant en vieux véhicules militaires de ses connaissances.
Vers le soir, leurs véhicules étaient bien chargés en équipements et réserves, la remorque portait douze cents litres de gas-oil en jerrycans
Yanna conduisait la Volkswagen et Eric le Bremach vers Brig. Eric habitait un village proche dans ce qui fut la ferme de ses parents, décédés il y avait trois ans.
Le soir, pendant qu'Eric faisait la cuisine, Yanna fit l'inventaire de ce qu'ils allaient emmener. Eric, un peu plus doué que Yanna côté bouffe, avait acheté, dans un commerce de marchandises de surplus, trois cents rations de combat de l'Armée Suisse, hors date. Chaque carton contient suffisamment de nourriture pour une personne adulte durant vingt-quatre heures dans un environnement de combat. Pas important si "hors date", les rations sont prévues pour. Yanna pensait aussi à une réserve de café et de quelque chose de plus spiritueux.
Eric n'était pas vraiment Cordon Bleu, mais il produisit une soupe aux tomates, pommes de terre rissolées, cuisses de poulet. Il y avait une bouteille de Bordeaux, une bouteille de Cognac.
La soirée se passait en mangeant, à faire et re-faire des listes d'inventaire, à prendre des décisions. Vers minuit, ils décidèrent d'aller se coucher.

Dimanche mâtin, dix heures. Tandis que Yanna était sous la douche, elle se rappelait l'enterrement de Schepple et avec lui, le "secret" d'Andersen. Mais elle avait autres choses à faire.
Elle trouva pain et café dans la cuisine et entendait qu'Eric était occupé dehors. Café: gloup. Pain: miam à la confiture de fraises. Yanna: rot et dehors.
Eric avait étalé tous leurs achats sur la pelouse et avait commencé à tout ranger le plus efficacement possible dans le Bremach. Il y ajoutait un bidon d'huile moteur, une tronçonneuse et une génératrice de courant qui avait fait ses preuves du temps de la ferme. Yanna, qui n'avait aucun problème de se salir les mains, aida son homme et dans l'après-midi tout était rangé et organisé au mieux. L'iPhone de Yanna sonnait.

- C'est moi.
- Rina, tout va bien ?
- Oui, qu'est-ce que je fais maintenant ?
- Où es-tu ?
- À côté du panneau "BRIG", en venant de l'Ouest.
- Eric arrive, Vous le suivrez, il conduit une Golf rouge.
- À tout à l'heure.

Une demi-heure plus tard arrivaient Rina et Hideki et les jumelles Rin et Ruko dans leur Unimog avec remorque Sinpar.
Salutations: Eric et Hideki et Rina,  Yanna et Hideki et les jumelles identiques Rin et Ruko qui avaient huit ans.
Tout le monde dans la maison et Eric commença quelque chose à base de casseroles et poêles tandis que Yanna offrait à boire. Les enfants partaient en reconnaissance dans la maison.

- Où pouvons-nous aller ? Demanda Hideki.
- Eric dit que nous pouvons atteindre un refuge de montagne, très haut. Il y a un bout de terrain plus ou moins plat, à deux mille mètres. Il y a un petit lac. J'espère que nous ne devrons pas y rester longtemps.
- Il est neuf heures, où est la télé ?
- Dans l'armoire haute, il suffit de l'ouvrir.
- Je ne l'avais pas encore remarquée, dit Yanna.

Les nouvelles télévisées ne parlaient que de l'avance de ce que l'on appelait maintenant une pandémie de grippe qui s'étendait rapidement dans toute l'Europe et l'Asie, ainsi qu'en Australie et les Amériques. Les millions de victimes ne se comptaient plus.
Le tout était suivi de commentaires comment les différents gouvernements mondiaux réagissaient, suivi d'allocutions idiotes par les présidents et politicards des principaux pays qui ne débitaient que des conneries à leur propre gloire, comme d'habitude, Sarko en tête. La météo prévoyait des orages venant de l'Ouest, ce qui était fréquent en cette période de l'année.

- Ça se déplace d'Est en Ouest, dit Hideki. Et j'ai l'impression que c'est le vent qui le propage. Ici l'air se meut d'Ouest en Est, donc je crois que cela nous donne un peu de répit mais nous ne pouvons pas nous attarder, nous devons atteindre la montagne au plus tôt. Et j'ai apporté encore un truc ou deux.
- Quoi donc ? Demanda Yanna.
- Des masques à gaz combinés / filtres à particules très fines. Ça provient des stocks de l'hôpital. Nous avons vingt masques et cinq cents paquets de membranes, un paquet est bon pour quarante-huit heures. Ce sera très inconfortable de les porter, mais nous n'avons aucune autre défense. Pour le reste, je ne peux que penser à un virus d'origine très suspecte. Nous devons nous en aller très rapidement.

Eric avait concocté quelque chose de mangeable que même les enfants aimaient. Yanna proposait de ramasser les affaires et d'aller dormir dans les véhicules et de partir dès qu'il ferait jour. Hideki trouva cela une très bonne idée.

- Vu qu'il est clair que le virus (?) est répandu par le mouvement de l'air et peut-être plus lourd que l'air, il est probable que nous ayons plus de chances de survie en altitude. Comment t'est venue l'idée, Yanna ? demanda Hideki.
- Une inspiration. Je pensais à un gaz utilisé en Asie, sur lequel j'ai écrit un reportage. Ça restait près du sol.

La dernière chose qu'Eric chargeait dans son camion était son fusil Stg. 90. Chaque Suisse, après son service militaire, rentre chez lui avec son fusil et deux boîtes de cartouches scellées.
La nuit, il n'y avait que les enfants qui dormaient et ils partirent vers trois heures du mâtin, direction le Simplon. Deux heures plus tard, ils prirent un chemin qui les mena à la Rotelsee et un peu plus loin, Eric ignorait un panneau "Défense de circuler pour véhicules à moteur", près d'un sentier en terre. Cela les emmena encore plus haut et le GPS d'Eric indiquait deux mille deux cents mètres d'altitude quand ils arrivèrent sur un terrain presque plat où se trouvait le Refuge de Haute Montagne. Haut dans le ciel, à l'Est, deux avions de ligne marquaient leur passage de leurs traînées de condensation des moteurs.
Eric et Hideki garaient les remorques à côté du refuge. Yanna, Rina, Eric et les enfants aidaient à décharger tout ce que l'on voulait avoir sous la main avec priorité absolue pour le récepteur radio universel d'Eric à réception ininterrompue de 25 KHz à 1,5 GHz, un appareil qui peut recevoir TOUT.
Hideki avait sorti des petits panneaux de son camion, panneaux jaunes portant le symbole pour un possible danger biologique et le mot "DANGER". Il alla placer les panneaux près du petit sentier qui menait à leur "base", dans l'espoir qu'ils éloigneraient d'éventuels intéressés, flicaille, gardes forestiers et autre racaille.
Tout le monde était fort occupé jusque vers quatre heures de l'après-midi quand Eric avait déjà entendu quelques remarques comprenant le mot "bouffe". Il entama les premières réserves, du congelé qu'il avait emmené de chez lui. Rina s'occupait de la radio d'Eric et prit note de tout qui lui semblait important. Les enfants s'ennuyaient et Hideki avait beaucoup de peine à les faire rester à l'intérieur. Elles avaient plus de place dans le refuge que dans l'Unimog.

Durant une semaine environ, il n'y avait rien d'intéressant à apprendre de la radio et l’on avait l'impression que rien n'avait avancé au sud de l'Autriche. Le reste n'était que de la propagande politique qui, en phrases creuses, assurait les populations que tout était sous contrôle. Yanna devait penser au fait que la Belgique avait eu un boucher comme ministre de la défense et un tenancier de troquet comme ministre de la "mobilité".
Yanna essayait d'occuper les enfants qui venaient de décider de ne plus parler le français, mais uniquement le japonais.

Le jour après, les informations changeaient de ton. Il y avait plus de morts en Allemagne, Autriche, Pologne, la Hollande, la Belgique. Rina ne recevait plus aucun poste Asiatique. Hideki opinait que cela changeait trop vite à son goût.
La radio Suisse fit savoir que le gouvernement avait déclaré l'état d'urgence sur tout le pays et que la loi martiale entrait en force. Nombre de réservistes furent rappelés.

Hideki distribuait les masques et, avec l'aide d'Eric, essayait de colmater les fentes dans la bâtisse en bois. Il pensait que des rations pour cinq jours suffiraient. Les autres se posaient des questions à ce sujet, mais une demi-heure plus tard ils avaient cinquante litres d'eau, trente boîtes de rations et quatre seaux vides qui devraient servir de toilettes. Dix litres de Javel serviraient à désodoriser.
Yanna trouvait malheureux qu'ils ne pourraient pas ôter leurs masques mais devaient quand-même manger et boire. Hideki avait aussi prévu une quantité considérable de Valium.

Confinés dans le refuge et tous peureux, Hideki trouva nécessaire de prendre la parole. Il commençait par dire qu'il ne croyait pas du tout que la pandémie ait une cause naturelle. "Ça  commençait trop vite, tuait trop vite se répandait trop vite et semblait avoir la capacité de s'arrêter soudainement pour reprendre à une vitesse effarante.

- À quoi tu penses ? Demanda Yanna.
- À une arme biologique, nouvelle, rapide, visée, facile à répandre et qui ne détruit pas la biosphère après usage, a une durée de vie limitée. Un instrument idéal dans les mains d'éco-fascistes et autres escrolos pour réduire la population efficacement. Il est aussi possible que d'autres "groupes d'intérêt" soient concernés.
- Je crois que tu as raison.Dit Yanna.
- Je crois qu'il n'y aura plus rien à craindre après quelque cinq jours.
- Comment ça ?
- Attendons.

Les cinq jours passaient mal. Rin et Ruko n'étaient pas les seules à vouloir se débarrasser de ce satané masque. Personne ne mangeait, ce qui réduisit considérablement le problème sanitaire.
Le quatrième jour, les infos radio se taisaient. On n'entendait plus que quelques messages sporadiques qui paraissaient militaires. Il n'y avait plus de radio "normale", plus d'émissions d'amateurs, excepté un en Alaska, un autre en Argentine et un ou deux en une langue que personne ne comprenait. Le cinquième jour passait et Hideki proposait deux jours de plus. Le huitième jour, il décida de sortir. Il pleuvait.
Hideki grimpa sur le toit de son Unimog et fit un tour d'horizon. Rien à voir, même pas avec des jumelles. Aucun mouvement, ou presque. Un peu plus loin, sur une colline, il vit un chamois, bien vivant. Hideki ôta son masque.

- Je crois qu'il n'y a plus de danger. Dit-il quand les autres sortaient du refuge, eux aussi.
- Et maintenant ? Demanda Yanna.
- Attendons encore un jour ou deux et, ensuite retourner d'où nous venons ? Quoi d'autre ?

À part l'Argentin, toutes radios semblaient mortes ou inintelligibles. Eric parlait l'espagnol et comprenait. L'Argentin parlait d'attaque biologique dans le monde entier, d'innombrables morts, un complot, plus de communications.

Mercredi. Eric et Yanna partent en reconnaissance, Hideki et Rina resteraient avec les enfants. Eric donna son fusil à Hideki. Leurs radios VHF portables leur permettraient de rester en communication dans un rayon d'une vingtaine de kilomètres. Yanna proposait de faire un tour vers la ville et puis de revenir. Yanna emportait sa Minox et la caméra vidéo de Rina.
Quand ils arrivèrent sur la route asphaltée qui menait à Brig, il n'y avait rien à voir. Pas de véhicules, pas de mouvement. Venus à la hauteur d'où était la maison d'Eric ils voyaient la première chose qui attirait leur attention: un barrage routier, vraisemblablement érigé par la police Suisse. Eric, qui avait toute confiance en la police Suisse, conduisait son Bremach jusqu'au barrage où il n'y avait personne. Il mit son masque -on ne sait jamais- et descendit de voiture. Les véhicules de police étaient vides, personne à voir. Il y avait aussi deux voitures civiles, garées correctement. Au loin, il vit rôder deux chiens.

Eric se servit du treuil du Bremach pour dégager le barrage et ils continuèrent leur chemin vers Brig. Cinq kilomètres plus loin ils virent une ambulance de la Protection Civile, garée le long de la route. Garée avec une roue sur le trottoir, la portière côté conducteur entr'ouverte. Eric s'arrêta à une vingtaine de mètres de l'ambulance et descendit du camion. Yanna prenait sa place au volant.
Il n'y avait rien à voir jusqu'au moment qu'il était tout près de l'ambulance. Là, il trouva le chauffeur, mort, appuyé contre la portière, comme s'il aurait encore essayé de sortir du véhicule. Le convoyeur était tout aussi mort que son collègue. Eric n'avait pas beaucoup envie d'ouvrir l'arrière de l'ambulance, mais le fit quand-même.
Dix hommes dans l'ambulance, horizontaux, sans vie, tous avec la même grimace au visage que les deux chauffeurs, comme si leur mort eût été agonisante. Eric pensait que les hommes étaient ceux du barrage. C'étaient des policiers, mais équipés comme pour en état de siège, comme des soldats.
Remarquablement, les cadavres n'avaient aucune odeur. Eric fit signe à Yanna de s'approcher et, après, lui demanda de prendre quelques photos pour montrer aux autres.
Dans l'ambulance, Eric enleva l'harnachement militaire des policiers et en sortit avec leurs Stg. 90, leurs pistolets SIG et ce qu'ils avaient comme munitions.
Comme il n'y avait rien d'autre à faire, ils continuèrent vers Brig, mais plus lentement et aux aguets. Un beau matou noir croisait leur chemin et disparaissait sous une haie. Yanna trouva le beau matou très, très vivant, tout comme le chien qu'ils avaient déjà vu.

Brig paraissait étrange: pas de trafic, pas de gens. Que des voitures garées, une couple de chiens. Autour de l’hôpital, tous les parkings étaient pleins. Eric traversa la ville, direction Est. Il n'avait aucune envie de s'arrêter à Brig. Juste hors de la ville, il trouva un autre barrage routier qui ne présentait aucun problème pour le passer. Ils continuèrent leur route durant une heure et s'arrêtèrent dans un petit village. Yanna "montait la garde" et Eric partit en reconnaissance. Il trouva une maison dont la porte n'était pas fermée à clef. Il entra.

La maison était très propre, comme partout en Suisse, tout bien rangé. Il appela d'un fort "HO !" mais ne reçut aucune réponse. Il monta l'escalier vers les chambres, tout en s'attendant d'y voir une scène pas très gaie. À la troisième marche, Eric se raidit. Il avait entendu quelque chose dans la maison. Quelque chose qu'il ne croyait pas venir d'un animal domestique: un bruit d'une chose qui bougeait, d'une voix rauque, aussi. Eric se précipita hors de la maison, prit son masque qu'il avait dans le camion, le posa, dit à Yanna qu'il croyait quelqu'un encore en vie et coura vers la maison.
Quand il remonta l'escalier, il l'entendait à nouveau. Il prit son pistolet en main, l'arma et continua vers une porte de chambre à coucher, ouverte. Sur le lit gisaient un homme et une femme, morts. Sur le sol, étendue, une petite fille qui regardait Eric comme si elle voulait lui dire quelque chose. Eric, abasourdi, ne sut que faire, cloué au sol. La petite fille leva un peu la tête, dit un mot qu'il ne put comprendre et alors il vit son visage faire une laide grimace. Sa tête heurtait le sol en ne bougea plus.
Eric prit son couteau en tint la lame devant la bouche de l'enfant. Aucune buée, pas de respiration.
Très touché, Eric rangea son arme et quitta la maison. Il racontait ce qu'il avait vu à sa compagne.
Yanna dit qu'il y aurait probablement d'autres survivants et se demanda quoi faire.

- Rien, dit Eric.
- Non, et ils seraient mourants
- Quelle merde
- Oui, mais que faire d'autre que d'être un peu cynique. Nous ne pouvons absolument rien y faire et nous devons penser surtout à notre propre survie. Aucun sens de continuer à chercher. Allons voir les autres.

Yanna put contacter Rina par VHF et dire qu'ils reviendraient tout de suite. Roulant lentement et regardant partout, prenant des photos çà et là, les ramena à leur "base" une bonne heure plus tard. Hideki et Rina voulaient tout savoir, Eric leur racontait et Yanna montra ses photos sur son ordi.

- Baka nèè ! (ceci est mauvais) s'Ecria Hideki en Japonais. Quelles ordures ! Bien que tu me parlasses de la petite fille, cela explique beaucoup. Les fils de pute qui ont inventé ça étaient très malins.
- Comment ça ?
- J'y ai réfléchi: ce qu' "on" voulait atteindre, devait agir rapidement et sans trop de dégât écologiques permanents. Donc je pense à une contamination virale d'abord, d'un virus se mutant rapidement. Les gens deviennent malades et vulnérables à une seconde attaque, cette fois-ci contenant une toxine virulente mais qui, par exemple, s'oxyde rapidement à l'air et devient inoffensive. Tout le monde meurt, ou presque tout le monde et il ne reste pas beaucoup à nettoyer. Je parie même que les cadavres ne se décomposeront pas, mais sècheront tout simplement. Que les animaux ne soient pas touchés ne m'étonne pas vraiment, les substances actives utilisées pourraient avoir visé uniquement un génome reconnaissable comme "humain". Un exemple d'engineering génétique génial de tout premier ordre. Pas le travail d'amateurs.
- Non, mais quoi faire maintenant ?
- Essayer de survivre dans un "Nouveau Monde" et nous reproduire. Ça peut sonner primitif, mais il n'y a rien d'autre à faire. À terme, on peut essayer de contacter d'autres survivants, je suis certain qu'il y en a, quelque part. Nous deviendrons agriculteurs, pas ouvriers d'usine.
- Et il faudra apprendre à se défendre.
- Ce sera une autre vie.
- Je crois qu'il est temps de remballer et vraiment aller voir ce qui reste de notre monde.
- Oui, remballons. Nous partirons demain mâtin.
- Bien.

Café soluble, pain en conserve, marmelade d'oranges. Yanna prit un feutre et écriva sur la porte: "Le 16 Mai 2012, Hideki et Rina, Rin et Ruko, Eric et Yanna étaient ici, sains et saufs et ont pris la route direction Sud".

La petite caravane roula direction Lausanne. Ils se dirigèrent vers le Sud car ils n'avaient aucune envie de passer un hiver en Suisse et, en cours de route, ils décidèrent d'essayer d'atteindre le Sud de l'Espagne à cause du climat plus chaud.

Tout le monde regardait les routes et rues désertes et Hideki s'arrêta en cours de route pour regarder quelques cadavres de plus près et prendre des échantillons sur vêtements, de cheveux, d'épiderme, qu'il mettait dans des sachets Zip-It. Un jour, peut-être, il trouvera ce qui avait servi comme substance exterminatrice.

Toutes les routes étaient libres de passage et tranquilles. La plupart de ceux qui étaient devenus malades avaient, vraisemblablement, eu le temps d'essayer de rentrer chez eux. Çà et là, ils rencontrèrent de futiles barrages routiers, ça et là, des véhicules militaires abandonnés, un ou deux soldats morts.
De Lausanne, ils se dirigèrent vers la France où ils suivirent la vallée du Rhône. De temps en temps, ils se firent photographier par des appareils de contrôle de vitesse automatiques dont certains durent être prévues de batteries qui fonctionnaient encore et laissaient derrière eux, une trace, sans amende, de vie à tel endroit, à tel moment.
Ils durent faire un détour autour d'un village en feu. En s'approchant de Nîmes, ils s'arrêtèrent dans une commune près de Remoulins: s'étendre les jambes, trouver des toilettes propres. Et de l'eau. Une superette avait un stock de deux palettes de bidons de cinq litres d'eau minérale. Les deux remorques en sentirent le poids.
Aussi, maintenant qu'ils commençaient de se remettre du stress des jours passés, il firent le tour du magasin et ils trouvèrent, dans leurs véhicules, encore de la place pour fruits, vin, bière, cognac, whiskey, bonbons, pq et p de cuisine, lessive etc. Ils trouveraient d'autres magasins, aussi. Yanna laissa un message au feutre sur une vitrine.
Alors, ils continuèrent leur chemin, ils étaient encore loin de devoir réapprovisionner en carburant. Ils suivirent les routes secondaires. Instinctivement, ils évitèrent les autoroutes, les petites routes leur donnant un certain sens de sécurité. Ça leur faisait quelque chose, de se sentir (presque) seuls au monde. Ils faisaient route depuis une journée et n'avaient rencontré strictement personne. La radio restait silencieuse en toutes langues Européennes.

Hôtel-Restaurant Du Midi. Sept heures du soir, devant la gare de Cérex, près de la frontière Espagnole. Eric part en reconnaissance. La porte est ouverte, il n'y a personne, ni en bas, ni en haut. Pas de cadavres, non plus. Le château d'eau local ne semble pas s'être vidé. Il y a toujours l'eau courante partout. Il reste du poisson et de la viande congelée dans la chambre froide.
Onze heures. Eric a préparé un repas. Repas de luxe éclairé aux chandelles sur la grande table ronde au centre de la salle. Rin et Ruko joyeuses après un verre de Château Pétrus de 1969.
Neuf heures du mâtin. Café, biscottes, miel et confitures. On part vers dix heures, vers le Boulou pour aller de là à La Junquera et d’entrer en Espagne. Après deux ou trois kilomètres, Yanna voit quelque chose d'étrange et demande à Eric de ralentir. Eric s'arrête et Yanna prend ses jumelles. Hideki vient demander ce qu'il y a.

- Approche-toi de là, dit Yanna à Eric, en montrant du doigt un objet au loin.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Une personne en vie.
- QUOI ?
- Roule !

Sur le bord de la route, un homme est couché, la tête reposant sur un vêtement plié. À côté de lui, agenouillée, se trouve une femme. La quarantaine, les deux. La femme lance un regard désespéré à Yanna qui vient de sauter du Bremach et qui court vers elle.

- Helfen Sie uns, bitte, Hans hat sich den Fuss gebrochen und wir koennen so nicht weiter.
(Aidez-nous, s'il Vous plaît, Hans s'est cassé le pied et nous ne pouvons pas continuer comme çà).
Eric, en Allemand, leur parle

- Que c'est-il passé ?
- Il s'est cassé le pied en courant vers Vous.
- Habitez-Vous dans le coin ?
- Non, nous nous sommes enfuis.
- Enfuis ?

Hideki vint sur place, disait qu'il est médecin et examine le pied d’Hans.

- Il n'a rien de cassé, ce n'est qu'une luxation. Je Vous prescrirai des médicaments pour le soigner. Hideki fut touché par un éclat de rire de Yanna.
- Oupse, pardon, la force de l'habitude. D'ailleurs il faudra que nous pillions une pharmacie, je n'ai pas apporté beaucoup de médicaments.
- Je m'appelle Eric et ceux-ci sont Yanna, Rina, Hideki, Rin et Ruko.
- Je suis Ute et mon mari s'appelle Hans, Hans et Ute Mauser.
- Ou pouvons-nous Vous emmener ?
- Nulle part dit Ute, qui se mettait à pleurer.
- Comment ça ? Nulle part ? Où habitez-Vous ?
- À Recklinghausen, en Allemagne, nous étions en vacances ici, dans la haute montagne, quand toute la misère commença en nous sommes restés là quelques jours. En rentrant chez nous, des malfrats nous ont attaqués et volé notre camping-car.
- Portons Hans d'abord vers ma voiture.

Hideki et Eric aidèrent Hans et Ute dans le Bremach. Hideki lui donna une injection de morphine. Ute demanda ce qu'il s'était passé partout. Eric essaya de le lui expliquer en bref.

- Nous devons rentrer chez nous, dit Ute.
- Pourquoi, il n'a plus rien.
- Notre maison, nos deux fils, ma soeur, ma mère.
- Ute, as-tu écouté ce que je viens de t'expliquer ?
- Oui, bien sûr.
- Non, Ute, tu l'as peut-être entendu, mais pas compris.
- Comment ?
- Mon amour, intervint Hans, tout le monde est mort, là-bas, il n'y a plus personne à Recklinghausen, je comprends très bien ce qu'Eric vient de dire.
- D'abord, Ute ne dit rien, après elle fit une crise de nerfs. Hideki lui administra un calmant.
- Je propose de trouver une solution au plus vite, dit Yanna.

Ute continua de répéter qu'elle voulait rentrer chez elle, mais Hans avait déjà compris que ça n'avait aucun sens d'aller passer neuf mois dans le froid et l'humidité en Allemagne. Il était triste de savoir que ses fils aient, plus que probablement, subi le même sort que le reste de la population. Ute ne voulait pas l'accepter. Hans lui dit qu'elle comprendrait en cours de route. Ute haussait les épaules.

En premier lieu, ils devraient trouver un véhicule, équipements et réserves pour Ute et Hans, après quoi ils auraient le choix de rejoindre le groupe ou pas. Tout le monde était d'accord avec cette proposition, à part Ute, qui voulait toujours retourner en Allemagne. Aussi, il était bien de savoir maintenant qu'ils n'étaient pas les seuls survivants. Maintenant il leur fallait trouver un endroit où s'établir. Yanna voulait connaître la profession d’Hans. Il avait accompli un apprentissage de soudeur tuyauteur, mais travaillait déjà dix ans comme mécanicien dans une entreprise de matériels agricoles. Ute était fille d'agriculteurs, mère de famille et s'occupait de la maison. Hideki trouvait Ute très belle, mais il y ajoutait qu'il n'aimerait pas prendre de torgnole de Ute, qui avait plus de biceps qu'Hideki avait de cuisses.
Lors d'un arrêt en cours de route, Rin et Ruko offraient Ute un petit bouquet de fleurs, cueilli au bord de la route et racontaient toute une histoire à Ute, en Japonais. Vu qu’Ute et Hans ne parlaient pas le français, les enfants croyaient qu'ils parleraient peut-être une langue plus civilisée comme la leur. Hideki intervint pour dire que ses filles disaient parfois des choses étranges. Ute souriait aussi en voyant que les deux filles portaient des oreilles "nékomimi", des petites oreilles de chat qui se tenaient en place à l'aide d'un diadème sous les cheveux.

Un mois plus tard, à Jerez de la Frontera, Espagne du Sud.
"La Familia" (nom inventé par Rina) s'était établie pas loin de Lebrija, où ils avaient trouvé une belle, très grande, ancienne maison de maître / ferme abandonnée. Ils y avaient trouvé six morts qu'ils avaient respectueusement enterrés sur une colline voisine. Le pied d’Hans était guéri et il s'était fait un membre de la famille plus que valable.
Ils avaient tout, il suffisait d'aller prendre quelque part ce dont ils avaient besoin. Par exemple, il y avait suffisamment d'entreprises de transport où Hans put aller se choisir une remorque-citerne et un tracteur pour semi-remorque qu'il allait remplir dans un dépôt de carburant abandonné. Trente mille litres à la fois, et ils avaient déjà cinq de ces véhicules, pleins. Dans un dépôt de l'Armée, Hans avait récupéré quatre génératrices de 250 KvA. Hans avait aussi adapté les conduits du château d'eau local et réservé toute fourniture d'eau à La Familia. Il faisait aussi l'entretien des pompes. Rina, Yanna et Ute avaient trouvé quelques livres au sujet de techniques agricoles dans une bibliothèque et Yanna et Eric avaient suffisamment de connaissances de la langue Espagnole pour faire des traductions et pour organiser un cours d' "Espagnol Pour Tous", Chaque week-end, Hideki organisait un cours de secourisme, faire des injections et autres techniques qu'il croyait utiles pour tous. Eric, de sa part, suivait Hans partout pour qu'il lui apprenne le plus possible: électricité, plomberie, mécanique etc. Rin et Ruko avaient ordre d'égayer la maison, tâche dont elles s'acquittèrent remarquablement bien, mais on semblait parfois remarquer qu'en deux mois, elles se comportaient comme si elles auraient vieilli de cinq ans et prenaient à elles des tâches que personne ne leur demandait: faire les lits, balayer, aller à la pêche et autres.

Alors arrivait un grand jour: la moisson. La plupart des champs de la ferme avaient déjà été moissonnés, mais il restait encore des centaines d'hectares de blé dans les environs immédiats. Ils avaient vécu le dernier temps de conserves, de poisson et de poules occasionnelles tuées à coups de fusil de guerre. Cela pourrait durer encore un moment mais Eric, Ute et Hans voyaient la nécessité de s'établir comme de vrais agriculteurs.
Un mâtin, ils partaient avec une moissonneuse-batteuse, un tracteur avec remorque et un autre tracteur avec une génératrice pour alimenter le remplissage d'un silo à grains, Ce serait un bon exercice. Quelques jours plus tard ils étaient les heureux propriétaires de deux cent cinquante tonnes de froment.
Après on "moissonnait" aussi oignons, ail, carottes, pommes de terre, haricots, poivrons, tomates et autres légumes. Ute disait qu'ils auraient besoin de matériels de conserves. Elle s'y connaissait et les autres trouvaient une bonne idée de l'apprendre aussi. Quelqu'un suggérait de trouver un négoce en graines, faut penser à l'année prochaine. Il y en avait une près de la coopérative agricole, à dix kilomètres.
Ute et Yanna partirent avec le tracteur d'Ute, un MB Trak de deux cents chevaux qu'elle avait "trouvé". Ute disait qu'elle aimait voyager en "première classe" et que son père n'aurait jamais osé rêver de tel engin de luxe et de puissance. Leur VHF pourraient communiquer à cette distance. C'était la première fois que les deux femmes quittaient le bercail seules, en bikini, ceintes de ceinturons auxquels elles portaient leur pistolet.

Le soleil, de cuivre liquide, les inondait de chaleur, mais la climatisation du MB fonctionnait parfaitement. La coopérative était facile à trouver par les hauts silos, visibles de loin. Ute prit le chemin blanc qui y menait et d'abord elle ne remarqua pas un reflet au loin, mais tout d'un coup, elle mettait trois pieds à la fois sur la pédale des freins ce qui envoya Yanna contre le pare-brise.

- C'est quoi, ça ? Fit Ute, regardant au loin
- Quoi.
- Quelque chose qui bouge
- Une feuille de papier dans le vent ? Yanna se frottait le front, le gnon reçu allait lui faire une belle bosse.
- Non, ça roule.
- Oh.

Yanna prit le VHF et appela les autres

- Où êtes-Vous ?
- Sur le chemin blanc, qui mène à la Coop, à un kilomètre des bâtiments.
- Qu'est-ce que tu voies ?
- Un véhicule en mouvement, mais je n'ai pas mes jumelles.
- On arrive, est-ce que le véhicule se dirige vers Vous ?
- Non, mais je le vois rouler de l'autre côté des silos, je ne sais pas ce que c'est mais ce n'est pas grand.
- Couleur ?
- Difficile à dire.
- Restez où Vous êtes.

Dix minutes plus tard apparaissaient Hans et Eric, chacun en Jeep, armés jusqu'aux dents. Ils avaient des jumelles.

- Que vois-tu ?
- Deux hommes, une fourgonnette, ils chargent quelque chose.
- En uniforme ? Armés ?
- À poil, barbus, pas d'armes en vue.
- Qu'est-ce qu'on fait ?
- Aller voir, prudemment.

Hans et Eric avançaient vers les bâtiments, pas trop vite. Quand ils s'approchaient, les deux hommes s'arrêtèrent de travailler. Ils criaient quelque chose d'incompréhensible. Hans descendit de voiture, posa visiblement ses armes sur le capot et allait vers les deux hommes. Eric restait en arrière, armé.
C'étaient deux Espagnols de Granada, météorologues qui étaient de service dans la Sierra Nevada, à trois mille mètres d'altitude, pendant les "évènements". Maintenant, ils allaient vers la mer en suivant les petites routes et s'étaient trompés déjà cinq ou six fois. Eric s'approcha aussi, salua les deux et appela les femmes.
Les deux jeunes hommes étaient visiblement étonnés de voir deux femmes en bikini descendre de l'énorme tracteur. Re-salutations, pendant lesquelles un des gars poussa un long soupir de soulagement en regardant Ute.

- Senora, j'ai ici quelque chose de très spécial, que je ne sais pas manipuler comme il faut.
- Hein ?
- Un instant, je reviens tout de suite.

Jorge coura vers l'un des bâtiments et revint en portant une petite fille sur le bras. Elle devait avoir quatre ans,

- Votre fille ?
- Non, trouvée et je ne sais pas qu’en faire.
- Mon dieu ! S'écria Ute, allait vers Jorge, prit l'enfant, montait dans son tracteur et s'en fut, sans mot dire.
- Je crois qu'Ute sait quoi faire, dit Yanna.
- Vous pouvez venir avec nous si Vous le voulez, dit Hans.

À la maison, les gars firent la connaissance de Rin et Ruko et on leur demanda de rester quelques jours. Ute ne se montrait pas et Hans pensait qu'il valait mieux de la laisser tranquille.
Les deux Espagnols remerciaient pour l'hospitalité, mais y ajoutaient qu'ils voulaient trouver un bateau et essayer d'atteindre le Brésil et y rester. Ils restèrent encore deux jours avec La Familia et Rina les fit entendre quelques enregistrements des messages radio reçus d'Argentine et du Brésil. Rina trouva aussi qu'il fallait installer un émetteur radio chez La Familia et demanda à Jorge d'essayer de l'atteindre quand ils seront arrivés à leur destination. Le troisième jour, ils partirent. Vayan con Dios, dit Eric.
La vie de La Familia continua dans sa routine. Ute réapparaissait après quelques jours, "sa" fille sur le bras, qu'elle avait baptisée Ortrud. La petite ne disait pas grand-chose, parlait Espagnol, mais Ute avait décidé qu'elle recevrait une solide éducation Allemande. Ute plaisait visiblement beaucoup à la petite Ortrud.
Ute avait perdu deux fils, mais maintenant elle avait une fille. Tout le monde voyait Ute "revivre", devenir plus active et joyeuse, ce qu’Hans appréciait beaucoup, lui aussi. Rin et Ruko aimaient bien d'avoir une petite soeur.

La familia ne connaissait pas le stress de la vie qu'ils avaient menée "avant". Tout le monde faisait ce qu'il y avait à faire, allait et venait comme il l'entendait, acceptait les autres comme ils étaient de façon instinctive et naturelle sans aucune pression extérieure.
L'été était chaud et long et, un soir, quand tous étaient réunis sur la grande terrasse, un peu ébriés, Rina, soudainement, disait qu'il était temps d'élire un président de leur "République". Tous se déclarèrent d'accord et les jumelles apportaient papier et crayons. Chacun devait écrire son choix sur une feuille. Grande tension lors de la lecture du résultat du vote.
Des neuf votes, deux étaient pour Gonzo, un pour Momo le Morbaque, quatre pour Mickey Mouse, un pour l'empereur de la Chine et un illisible, mais Ute jura qu'Ortrud avait voté pour Bozo le Clown. Yanna trouva ce résultat le plus intelligent de tous les temps et Eric débouchait de Champagne pour fêter.

Cet été-là, tous prirent un coup de soleil, à part Rin et Ruko qui bronzaient façon Afrique. La mer était tout près et l'on mangeait beaucoup de poisson, vu que personne n'avait le nerf de tuer un animal au sang chaud et que, après seulement trois mois d'arrêt de pêche professionnelle, le poisson abondait. Hans et Eric avaient démonté quelque part une chambre froide et l'avaient remontée sous un hangar ce qui prouva être de grande utilité. Rin et Ruko s'adonnaient à la pêche avec beaucoup d'enthousiasme et savaient nager comme des petites loutres. Un jour, Ruko ramena une demi-douzaine d'huîtres qui ne contenaient pas de perles mais étaient très bonnes à manger.
Ute portait constamment son enfant sur la hanche en n'arrêtait pas de lui parler. Tout le monde disait que ces deux-là avaient quelque chose de spécial. Ortrud commençait à dire des mots en Allemand, à l'accent de la Frise Orientale. Ils voyaient, dans la cuisine, la petite Ortrud pétrissant la pâte à pain avec le sérieux d'une femme adulte. Parfois, elle jetait un regard désapprobateur vers Rin et Ruko qui jouaient pendant qu'elle travaillait dur avec sa maman.

Un jour, Ute se plaignait qu'il n'y avait plus de beurre, même après le pillage de plusieurs supermarchés. Le commentaire de Yanna "va trouver une vache" ne fut pas reçu très bien. Mais Hans avait une idée. Après un jour de recherche dans l'annuaire de la région et quelques kilomètres en voiture, il trouva un des fameux frigos où l'on stockait du stock subsidié par l'Union Européenne, comme la "Montagne de Beurre", la "Mer de Lait", la "Montagne de Viande" et autres. Ici, il trouva cinq mille mètres carrés, à quatre mètres de haut, de beurre à moins trente. La génératrice de secours avait tenu suffisamment longtemps pour que le tout soit encore congelé à 99 % de la quantité. Une citerne de gas-oil, une vidange moteur, trois heures plus tard ça repartait. Hans approfondit ces recherches dès le lendemain ce qui après fait le tour complet du port de Cadiz, il faisait un intéressant inventaire de viande, de poisson congelé, de lait en poudre.
Hideki s'occupait de remettre en service une petite clinique proche. On enterra aussi.

Fin Octobre le temps se fit un peu plus frais et La Familia commençait à être solidement installée. Ils supposèrent que Toni et Jorge avaient atteint le Brésil ou l'Argentine.
À Cadiz, Rina avait trouvé un fournisseur d'équipement radio, matériels de marine civile surtout. Hans et Eric et elle avaient érigé des mâts pour plusieurs antennes, suivant les fréquences dont elle voulait se servir.
Elle arrivait à parler à des gens en Argentine, mais n'apprenait rien de plus que ce qu'ils se trouvaient dans une situation pareille à la leur et n'essayaient que de survivre. Ils étaient une trentaine qui revenaient de la Patagonie. Rina leur parlait de l'émetteur brésilien et de Jorge et Toni, qu'elle espérait êtres sains et saufs, quelque part au Brésil.

Les GPS de La Familia fonctionnaient encore, probablement jusqu'au jour que les satellites tomberaient du ciel. Cela pourrait encore durer quelque temps, voire années.

Le 31 Décembre. La côte, une plage près de la baie de Cadiz. Quatre Jeep et un immense pic-nic avec BBQ. La température ne descend pas en dessous des 25 degrés, même pas quand il se fait tard et Hideki demande si on a finalement reçu ce fameux réchauffement global, promis depuis déjà si longtemps, pendant qu'il installe une batterie de feu d'artifice, trouvé dans les stocks d'un supermarché.

Boum ! Fusées multicolores. Ortrud aime bien çà et rit aux éclats, Ute a les larmes aux yeux de voir sa petite fille si contente. On danse sur la plage et tous se réveillent au lever du jour. Les jumelles jouent dans l'eau. Une année nouvelle commence sans calendrier avec photos de petits chatons, au grand désagrément de Rin et Ruko qui se considèrent elles-mêmes très "chat".
Avoir des chats n'était pas un problème, ils en avaient en suffisance, mais ils avaient aussi un problème de chiens, L'Espagne a plus que son compte de chiens sans laisse. Une bande de chiens affamés, ça ne pardonne pas. Là on avait recours aux armes à feu, rien d'autre à faire. Eric en Hans s'en occupaient, non pas sans avoir sélectionné quelques jeunes bergers Allemands qui devenaient chiens de garde. Ainsi, La Familia avait une bonne douzaine de chats et cinq bergers Allemands. Les jumelles étaient responsables pour ce "bétail domestique". Hausvieh comme disait Ute. Ortrud avait son petit chat à elle.


Quelques orages mis à part, le temps était agréable et il n'y avait aucun besoin d'appareils de chauffage.
Un petit problème se fit sentir: un certain ennui dans la routine de tous les jours et déjà quelques mots pas trop gentils furent prononcés. Les tâches journalières n'étaient pas des plus dures et comme tout le monde aidait tout le monde, le travail se fit léger.
Yanna, la maîtresse d'école non diplôméesuggéra une solution fonctionnelle: tout le monde de retour à l'école, quatre heures par jour, les après-midi. Il y avait beaucoup à apprendre: Hideki pouvait enseigner pas mal de choses aux autres, ainsi qu’Hans. Ute était grand-maîtresse du ménage, ce qui est tout un art. Rina, spécialiste en électronique. Yanna et Eric maîtrisaient plusieurs langues et tout le monde était d'accord pour que tous parleraient une langue commune. Rin et Ruko trouvaient que le Japonais serait la langue idéale et Yanna les menaçait de leur donner la fessée avec un mouton mouillé si elles oseraient répéter leur suggestion. Tous riaient. On se mit d'accord sur l'Espagnol.
Rina, elle, fut confrontée avec une tout autre langue / écriture: un mâtin, elle entendit quelqu'un émettre en morse, sur la fréquence de 500 Khz, la fréquence d'urgence internationale. Rina n'y comprenait rien du tout, mais enregistra le message.
Rin et Ruko continuaient à parler entre elles le japonais qu'elles connaissaient, main n'apprenaient rien de plus. Elles apprenaient l'Espagnol qu'Eric et Yanna leur enseignaient mais disaient que l'Espagnol, pour elles, n'était pas une bonne langue pour parler aux Dieux et quand Yanna entendit cela, ça l'étonnait. La Familia existait maintenant presque un an et jamais la religion ne fut un sujet de conversation. Eric, lui disait que cela l'inquiétait beaucoup. Il était un athéiste plus que convaincu qui haïssait profondément ce qu'il appelait deux mille ans d'arnaque. Yanna se déclara tout à fait d'accord.

- J'ai un problème avec ça, dit Eric, on a essayé de me forcer, moi et d'autres enfants, d'adorer un cadavre cloué à un poteau, ce que je trouve cent fois plus maladif que ce que pourrait faire le pire des violeurs d'enfants. Je ne suis pas le chef ici et je ne veux pas l'être, non plus, mais je trouve que nous devons tous avoir une conversation à ce sujet. J'ai vraiment peur de ces malfaiteurs et malades mentaux qui se disent "religieux".
- Tu as raison

Durant les jours suivants, Yanna se servit de ses mots les plus prudents pour demander aux jumelles qui étaient ces Dieux.
Elles lui expliquaient que tout était "kami", divin: la rivière, le caillou sur le chemin, un poisson, l'eau, la neige, le sable, un insecte.
Hideki, par hasard, suivait la conversation en passant et demanda Yanna si l'expérience Shinto l'intéressait. Yanna répondit que tous pourraient être intéressés.

Hideki prit son temps, le soir, et commença par conter l'histoire d'Amaterasu Omikami, la Déesse la plus puissante de tout l'univers. Quatre heures plus tard, tous comprenaient qu'il était, en fait, de la plus haute importance d'apprendre aux enfants d'être respectueux de la nature et de l'un l'autre, d'honorer la mémoire des aïeux, ceci contrairement à toutes autres religions agressives, meurtrières et maladives qui trouvaient leur origine au Moyen-Orient. Rin et Ruko dirent à Ortrud que son petit chat était kami comme elle-même et qu'elle ne devait plus lui tirer la queue. Ute souriait. 

C'était un Lundi soir quand Rina descendait en trombe de sa "chambre radio" et dit aux autres de venir écouter. Tous montaient l'escalier et entendirent de la musique. La Marche Radetzky, une composition du dix-neuvième siècle. Hideki parlait d'un enregistrement intéressant, pour rester poli.

- Ce n'est pas un enregistrement.
- Quoi, pas un enregistrement ?
- Non, ceci est une émission en temps réel.
- Hein ? De qui ?
- Vous le saurez en un instant.

Yanna était sur le point de dire à Rina d'arrêter de fumer de la moquette quand la musique s'arrêta.

- Ici Radio Europe Libre, émettant du palais princier à Monaco, ondes moyennes, sur la fréquence de 747 KHz. Ceci est une émission pour tous qui peuvent nous entendre, Si Vous disposez d'un émetteur et si Vous le voulez, Vous pouvez nous atteindre le plus facilement sur les ondes courtes, sur la fréquence de 3500 MHz.

Le message était parlé en français médiocre et fut répété en Russe, Anglais et mauvais Espagnol, suivi de la même musique.
Tous étaient abasourdis.

- Ça a pris son temps, dit Eric, je me demande qui.
- Ils sont en vie, dit Hans
- Je vais essayer de les atteindre, dit Rina, qu'en pensez-Vous ?
- Sois prudente avec ce que tu dis, dit Yanna.
- Oui, bien sûr.

Rina ajusta son émetteur sur 3500 KHz et appela en Français.

- CQ poste Europe Libre, ceci est La Familia.

Pas de réponse. Il lui fallut cinq appels avant qu'elle reçût une réponse un peu hésitante.

- La Familia, ceci est Europe Libre.
- Bonjour, Europe Libre, qui êtes-Vous ?
- Nous sommes huit survivants Russes et nous nous trouvons en France.
- Nous sommes neuf en nous nous situons au sud-ouest de Vous.
- Il est bon d'entendre que nous ne sommes pas les seuls.
- C'est ce que nous trouvons aussi
- Etes-vous un poste fixe ou mobile ?
- Nous pensons de rester où nous sommes.
- Je m'appelle Rina.
- Je suis Alex
- Avez-vous d'autres contacts ?
- Nous avons entendu parler en Espagnol.
- Je reste à l'écoute sur 3500. Je reviens demain à la même heure.
- Compris, La Familia. Europe Libre fin.

Tous restaient bouche bée. S'ils avaient vécu leur rencontre avec Toni et Jorge comme quelque chose de normal, ceci était comme s'ils venaient d'entendre des extra-terrestres. Rina se demandait pourquoi elle n'avait entendu aucune transmission militaire.

- Voilà autre chose, dit Hans
- Oui et l’on nous parle d'espagnols dont nous ne savons rien.
- Ça aussi.
- Nous sommes donc moins seuls que ce que nous ne le pensions et que font des Russes à Monaco ?
- Jouer à la roulette ?
- Peut-être.

Durant les jours suivants, il y eût une conversation journalière entre Rina et Alex. Alex ne dit pas beaucoup et Rina n'était pas très loquace, non plus, ce qui était compréhensible. La Familia ne connaissait pas les Russes et ne connaissait pas leurs intentions. Les Russes ne connaissaient pas La Familia. Si tous trouvaient encourageant d'avoir trouvé "des autres", personne de sauta dans une voiture pour aller les rencontrer. Yanna pensait au magnifique yacht amarré dans le port de Cadiz. Ce serait l'idéal pour aller saluer un Prince Russe à Monaco. Héhé.

Alors, Rina reçut une question inhabituelle d'Alex. Alex voulait connaître la largeur de l'entrée du port de Cadiz. Il y ajouta qu'il voudrait rendre visite à La Familia, si elle le permettrait. Rina répondit qu'elle eût à en parler aux autres. Alex comprenait.

- Alex veut venir ici, par la mer, avec un bateau qui fait trente mètres de large ? Demandait Yanna.
- Il n'a pas parlé d'un bateau, il voulait connaître la largeur de l'entrée du port.
- Hydravion ? Demanda Hans.
- Tout est possible, nous ne savons pas qui ils sont.
- Je ne sais pas si nous devons nous isoler, dit Ute. Tôt ou tard, nous rencontrerons des "autres" Et je ne vois pas l'utilité de situations à la Mad Max, tout le monde a, au moins, ce que nous avons. Et je ne crois pas que nous soyons les seuls qui, maintenant, se réalisent des conneries d'avant. L'argent n'existe plus, l'or n'a plus de valeur.
- Pour l'instant, dit Hans
- Qu'ils viennent, dit Yanna, pas plus de quatre personnes.

Rina dit à Alex qu'ils seraient les bienvenus avec quatre personnes maximum. Alex répondit qu'ils ne seraient que deux, sa femme et lui et que les autres resteraient "à la maison". Il y ajoutait qu'il arriverait vers 14 heures au port de Cadiz.

Un bateau porte-containers échoué mis à part, il n’y avait rien à voir de particulier dans ou autour du port. Hans avait mis en route un petit bateau de pêche, on ne sait jamais à quoi ça peut servir.
Il était14.30 quand ils entendaient un moteur très bruyant et qu'Alex "atterrissait" son ekranoplan juste devant l'entrée du port. Après il entra très lentement au port et se poussa du nez, à l'aide de deux moteurs seulement, contre un quai. Eric et Hans s'y rendaient pour aider. Un homme et une femme descendirent à quai.

- Bonjour, je m'appelle Alex et voilà ma femme, Elena. Alex parlait un français correct mais avec un accent très Russe.
- Nous sommes Hans et Eric. Voilà Yanna et Rina là sur l'embarcadère.
- C'est quoi comme avion ? Demanda Hans.
- Ce n'est pas vraiment un avion, c'est un ekranoplan, un bateau volant selon le principe d'effet de sol, il ne "vole" qu'à très basse altitude. Une invention Suédoise, perfectionnée en Russie. Pas l'idéal, mais peut prendre de très lourdes charges et est relativement rapide. Elena est pilote.
- Très bien.

Les Russes furent reçus chaudement à la maison. Ils étaient aimables, ex-militaires. Elena était pilote de chasse d'origine, Alex mécanicien de moteurs à réaction. Alex avait suivi des cours de Français parce ça pouvait l'aider à obtenir une promotion. Ils étaient venus en France parce que ça leur paraissait une destination de rêve et aussi parce qu'un autre groupe "occupait" déjà la Crimée. Ils avaient survécu parce qu'ils se trouvaient loin de tout durant les "évènements", durant une mission de transport dans le Nord de la Sibérie. Quand ils retournèrent à leur base dans la Mer Noire, il n'y avait plus personne en vie et ils atterrissèrent leur Tupolev de transport dans un aéroport vide. Ils étaient huit et le sont encore. Pour le reste, leur histoire ressemblait celle de Yanna.
Mais Alex y ajouta quelque chose de remarquable. S'il était convaincu que le tout était à la suite de quelque sorte d'opération militaire couverte, il voulait savoir si l'artillerie anti-aérienne Suisse était entrée en action.
Eric s'ouvrait les yeux grands ouverts et Alex continua que, quand ils étaient encore en Sibérie, il avait entendu qu'il avait eu, quelque part, des tirs de fusées anti-aériennes dont certaines auraient touché leur but. Artillerie Russe mais il ne savait pas contre qui. Les chinois ? Peu probable. Il y ajoutait que, en accomplissant leur mission de transport, l'alarme fut sonnée dans la station radar qu'ils approvisionnaient.
Elena disait que des fusées Chinoises auraient été interceptées. Elle pensait que s'il y eût menace, elle devait venir de l'Ouest, vu les données géographiques. Lisez: USA ou Grande-Bretagne.

La Familia les écoutait avec attention indivisée. Yanna et Eric répondaient en expliquant pourquoi eux aussi, croyaient à une attaque globale. Leurs amis Russes avaient, eux, aussi déjà pensé à la théorie de la surpopulation.
Yanna y ajoutait qu'elle pensait de même mais que personne n'aurait organisé l'attaque sans intérêt propre: éliminer l' "ennemi", laisser la nature se restaurer et frapper plus tard pour forcer la planète entière sous une seule dictature.
Il se faisait tard et Hideki suggéra de reprendre la conversation le lendemain.

La journée commença comme tout autre, bruits de douches, café et pain, aboiements des chiens et miaous des chats, les voix hautes des filles. Chacun se mit à son travail du jour. Yanna et Eric, en Jeep, faisaient le tour du propriétaire des deux mille hectares avec les Russes. Elena fit des photos qu'elle voulait montrer aux autres Russes, à Monaco. Elle trouvait que La Familia était mieux organisée.
Après le déjeuner à la maison, Elena posa la question que Yanna attendait déjà: Elena demandait prudemment s'il eût été possible d'établir des "relations diplomatiques" entre Monaco et La Familia.
En riant, Eric demanda s'il y aurait échange d'Ambassadeurs, mais Yanna coupait court.

- Voulez-vous venir habiter avec nous ?
- Franchement, oui.
- Et Vous êtes venus pour ça.
- Exact, je crois que nous devrions vivre en un groupe plus grand pour des raisons de sécurité. Le monde peut être presque mort, je crois qu'il y a plus de survivants que nous le pensons.
- Je ne peux pas Vous donner tort, mais comprenez que notre maison est pleine. Mais il y a d'autres grandes maisons et terrains dans les environs.
-Je comprends.
- Nous discuterons tout cela ce soir.
- Bien, puis-je envoyer un message par Votre radio ?
- Certainement, demandez à Rina.

Yanna et Elena allaient aider Ute et Otrud et leur tenaient compagnie tandis qu'Alex et Eric tinrent une conversation en se promenant dans un chemin.

- J'espère que tu te sois trompé au sujet de ces tirs d'artillerie A-A, dit Eric.
- Oui
- Le contraire ne ferait que mener à ce que je crains le plus: une dictature des pires ordures qui aient déjà pollué le monde dans le passé.
- À qui tu penses ?
- Qui serait capable, selon toi, de tuer 90 % du monde, qui se fait tirer dessus par les Russes et ce ne sont pas les Chinois ?
- Je crois savoir qui tu veux dire. Oui, je vois ce que tu veux dire et je crois que nous ne devrons plus attendre longtemps avant d'entendre d'eux.
- Qu'est-ce qu'ils veulent ? Du vin Espagnol ?
- Peut-être ils ne voudront que confirmer leur présence. Pour l'instant, nous avons l'avantage de la distance. Aussi, nous n'avons aucune idée d'où ils entreprendraient quelque chose.
- Chez eux-mêmes ?
- Peut-être, mais l'Angleterre est très près d'ici, et il faudra être attentif à ce qui pourrait venir de là. Ils auront aussi des survivants.
- Bien sûr.

Les "relations diplomatiques" avec Monaco résultaient, après quelques conversations radio, que quelqu'un du nom d’Igor disait qu'ils se rencontreraient bientôt.
Le lendemain, l'ékranoplan d'Elena et Alex fut réapprovisionné à partir d'un dépôt de carburants dans le port et, juste après, les quatre réacteurs se hurlaient un chemin, à très basse altitude au-dessus de la mer, direction Côte d'Azur.

Un ékranoplan, ça s'entend, mais on ne le voit presque pas, blanc, pas lent avec ses 400 Km/h, sous tous les radars. Par contre, haut dans le ciel, un satellite militaire enregistrait un mouvement.
Quatre jours plus tard, Alex envoyait un message de ton mystérieux:

- CQ Famille Agricole, ici le Palais
- Bonjour, Palais
- Deux tapis volants en route, arrivée prévue dans trois heures.
- Compris, Palais.

Quelque deux heures et demie après amerrit l'ékranoplan d’Elena et Alex, et fut suivi d'un autre, beaucoup plus grand: Nadia et Raïssa, en compagnie de Yuriy, Mikhail, Vladimir et Vasiliy. On les aida à accoster et Hans se demandait comment ils allaient les décharger.
Après les salutations d'usage, Yanna proposait que tous viennent à la maison pour l'apéritif, le déjeuner et un entretien approfondi.

Alex et Elena étaient connus. Nadia et Raïssa, un peu plus âgées, étaient ex-pilotes de chasse réassignées à des missions de transport. Yuriy et Vladimir étaient mécaniciens de l'Armée de l'Air, Vasiliy et Mikhail furent officiers de direction de tir: l'un d'artillerie anti-aérienne, l'autre des missiles nucléaires "Topol". Ils étaient tous en quête d'un nouveau "chez soi".
Cela n'avait aucune importance si les Russes seraient arrivés en engin volant avec deux cents tonnes de matériel, ou aient nagé avec rien.Tout ce dont ils auraient besoin pouvait se trouver partout.

Deux jour plus tard.
Yanna, Raïssa, Alex font une reconnaissance d'endroits possibles où les Russes pourraient s'établir. Pas si facile que çà et le lendemain Yanna donna aux Russes quatre Jeep, un GPS, une radio portable VHF et une carte routière et les envoyait chercher seuls. Huit Russes et huit Kalashnikov AKM en route. Elle était tranquille.
Cinq heures. Temps pour le goûter. Kaffee und Kuchen, comme on dit en Allemand. La petite Ortrud a déjà le visage plein de confiture de fraise et les autres la rejoignent.
Les jumelles sont les premières à entendre un bruit sourd. Rina parle de russes qui ont troué un pot d'échappement. Hans répond que ce n'est pas un petit moteur de Jeep et ses mots sont à peine froids que "quelque chose" prend a saute-mouton une rangée de peupliers à côté d'une des granges et atterrit en moins de vingt mètres.
Tous, étonnés, regardent un avion relativement petit avec un cockpit genre immense verrière. Moteur éteint, Nadia en sort avec un sourire d'une oreille à l'autre.

- "Lent et bas, hop au-dessus des arbres" , dit elle en Russe et personne ne la comprend.

Personne n'eût le temps de réagir avant qu'elle n'ait atterri. Ils durent attendre Alex pour en savoir plus.

- Ceci, dit Alex, en montrant Raïssa du doigt, est une femme sérieusement givrée mais qui sait faire voler un avion. Et cela, en montrant l'avion, est un Fieseler 156 "Storch", construit en Allemagne en 1943, restauré par quelqu'un et garé sur l’aérodrome du Club d'aviation de Jerez. Nadia le remarqua en passant et elle aime les vieux coucous. Remarquez que le Fieseler 156 est le seul avion au monde de sa classe qui vole encore à moins de 40 Km/h et peut même atterrir en marche arrière à condition de vent contraire. C'est un avion de reconnaissance et ça pourrait servir un jour.

- Et pas d'électronique dans le moteur, dit Hans.

Les Russes prirent leur temps et cinq jours pour décider où s'implanter. Ils avaient aussi compris que leur futur serait lié à l'agriculture et à la pêche et ils s'installèrent dans une ferme un peu pareille à celle de La Familia et dont les deux maisons pouvaient se "voir" d'une colline à une autre à une distance de quelque huit kilomètres.
Pendant les jours et semaines qui suivaient, et deux ékranoplans furent déchargés soigneusement. Nadia et Raïssa firent un tour de l'Arsenal de Cadiz, qui était maintenant transformé en dépôts de l'Armée Espagnole. Vladimir et Vasiliy réinstallèrent "Radio Europe Libre".

Cette année passa lentement et ils étaient maintenant dans la deuxième année "après les évènements". Les travaux agricoles d’Hans n'étaient pas sans succès. Les Russes s'installaient de la même façon de La Familia. Tout était tranquille, comme toujours. Leurs occupations étaient très agricoles, horticoles et casanières. Rina et Alex continuaient d'essayer de contacter le monde mais sans grand succès. Nadia et Raïssa avaient récupéré deux autres avions: deux Beechcraft Bonanza G36 neufs qui se trouvaient, prêts à la livraison à des clients, dans les hangars du Club de Jerez. Très rapides et très modernes. La Force Aérienne de la"Brigade Ouest" comme elles s'appelaient elles-mêmes.


Et, un beau mâtin de printemps, Nadia et Raïssa firent un "vol de reconnaissance”. Elles volaient au-dessus de la terre ferme vers Malaga et, ensuite, suivaient la côte à basse altitude. La navigation était facile parce que leur GPS fonctionnait toujours. Leur plan de vol les menait outre la Sierra Nevada. Raissa en avait lu une description : des cimes enneigées en Espagne du Sud et elle voulait les voir.

Toutes les deux, elles admiraient la chaîne de montagnes d’une beauté exceptionnelle et, au moment de retourner à la base de la « Brigade, Ouest »,  Nadia remarqua quelque chose d’inattendu près de la coupole blanche de la station météorologique : un filet de fumée orange.
Toujours pensante de façon « militaire ». elle appela Raissa.

- Ouest deux, ceci est Ouest un.
- Parle, Ouest un.
- Signal fumigène, orange, sept heures, sol.

Raissa regardait vers le bas pour autant que le vitrage le permit,

- Vu, Ouest un
- Armes libres
- Hahahaaaa, quelles armes ?
- Nom de dieu
- Qu’est-ce qu’on fait ?
- On va voir, mais ne t’approche pas trop
- J’ai une idée
- Raconte
- Je mets le VHS sur “scan”, on pourrait entendre quelque chose.
- Bien

Les deux Beechcraft tournaient autour de l’endroit où, vraisemblablement, quelqu’un avait allumé un pot à fumée. Ensuite, un second. Elle vit aussi évoluer des silhouettes humaines. On déploya ce qui ressemblait à un drap de lit, carré et blanc et aussi un drapeau Espagnol. Le scanner de Raissa s’arrêta au canal 140.

Ouest un, va sur 140
140, compris

Nadia entendait aussi un appel en Espagnol qu’elle ne comprenait pas. Elle y répondit en Russe.

Zdravstvuytye, ya Maior Nadezhda Vassiliyeva Semiyagin, Russkaya Armiya. (Salut, je suis le Major Nadezhda Vassiliyeva Semiyagin, Armée Russe).
Vosotros Ruski ? (Vous êtes Russe ?)
Da, mi-Russkiye (Oui, nous sommes Russes)
Somos Espanoles, somos amigos (Nous sommes Espagnols, nous sommes amis)
Amigo ?
Si, si, amigo !

Ouest deux, tourne autour, je vais voir
Compris, Ouest un.

Pendant que Raissa tournait en rond au-dessus de la position Espagnole, Nadia fit un passage en rase-mottes. Elle y vit un nombre de personnes, uniformées et armées. Elle vit aussi quatre véhicules sous leur filet de camouflage ainsi que deux positions de tir anti-aérien, à canon simple et qui ne suivait pas le Beechcraft.

Ouest deux, marque ta position, reste autour de moi pour le temps de carburant que tu as et retourne ensuite à la base Ouest. Je me pose sur la route.

Nadia posa son avion sur la route asphaltée près de l’endroit d’où venait la fumée. Elle descendit du Beechcraft, son pistolet Makarov chargé et armé dans son fourreau, son AKM en bandoulière. Au loin, elle entendit démarrer un moteur. Elle s’alluma une cigarette et attendait. Raissa tournait en rond au-dessus de la position.

Un camion Pegaso de l’Armée Espagnole s’approcha et vint se garer près de Nadia, Une douzaine d’hommes en descendirent et un d’eux vint près de Nadia et salua de façon formelle. Il se présenta comme étant le Capitaine Juan Hernandez-Coll, Armée Espagnole, 2nd Régiment de Chasseurs à Pied.
Nadia le salua aussi et se présenta à son tour. Elle ne comprenait strictement rien du tout de ce que lui disait le Capitaine.
Nadia parlait très peu d’anglais, mais le Capitaine Hernandez, lui, le parlait très bien.

- Moi, Major Armée Russe, Force Aérienne. Autre officier en avion là-haut. Nous à Cadiz. Revenir avec homme parler espagnol.
- J’aimerais en savoir plus. Combien d’autres avec Vous
- Pardon je ne pas parler Anglais. Vous venir avec moi ? Je revenir vite avec Vous.

Juan Hernandez était d’abord un peu étonné, mais Il dit à son second:

-Lieutenant Sorosa, prenez le commandement, je pars en reconnaissance avec ce Major Russe. Si je ne suis pas de retour en 24 heures, initiez l’ordre 14.

- Compris, mon Capitaine.
- Ouest 2, nous retournons à la base, j’emmène un invité.
- Compris, Ouest 1.
- Trois minutes après, les deux Beech, en formation, retournèrent à la Base Ouest. Juan Hernandez ne disait pas grand-chose. Il écoutait Nadia, qui disait quelque chose à Raissa, mais il ne comprenait pas ce qui fut dit.

Le vol se passait bien et dès qu’ils étaient à portée des radios VHF, Nadia appelait sa base et demanda à Alex de venir à l’aérodrome pour y rencontrer un invité Espagnol. Juan admira la précision avec laquelle les deux femmes atterrissaient leurs appareils.

Il y avait six Jeep garés près de la piste en herbe. Évidemment, La Familia accompagnait les Russes. Les jumelles avaient cueilli des fleurs pour leur invité.

Salutations partout. L’Espagnol, plaisamment surpris, accompagnait Yanna et Eric. Arrivés à la maison, Il y avait beaucoup de questions à poser et à y répondre. Un nombre de soldats avait été en manoeuvres dans la Sierra Nevada et un “peloton renforcé” avait survécu aux “évènements. Quand Raissa et Nadia les rencontrèrent, deux sections étaient occupées à essayer des équipements radio pour essayer –encore- de contacter le monde survivant. Ils n’avaient pas encore réussi, bien qu’ils aient essayé depuis longtemps. Le groupe entier vivait dans une caserne à Malaga. Inévitablement, la question “Que faire maintenant ?” se posa.
Juan disait qu’évidemment, il devrait en parler à ses hommes. Nadia suggérait que Raissa et elle emmènent Juan et Eric à Malaga. Eric y pourrait raconter toute l’histoire à tous, il pourrait y rester quelques jours, si nécessaire.
Alors, le repas du soir était prêt.

À sept heures du mâtin, Mikhail et Vasiliy avaient déjà réapprovisionné et vérifié les deux Beechcraft.
Ainsi, Juan et Eric avaient chacun leur pilote privé. Deux heures plus tard, deux avions de la Base Ouest atterrissaient sur la même route dans la Sierra Nevada. Nadia et Raissa saluaient avant de se transformer en deux petits points noirs au loin. Eric, lui, monta dans l’un des camions Pegaso.

Dans la caserne de Malaga, tout le monde voulait tout savoir d’Eric. Il leur raconta son histoire et leur montra des photos sur son ordi portable. Alors, Eric posa LA question : voulez-vous rester à Malaga ou nous rejoindre ? Notre argument est qu’il y a probablement encore d’autres survivants dont certains ne pourraient pas être nécessairement ami et que nous aurions de meilleures chances de nous défendre en un groupe plus grand. Il s’y ajoute qu’en plus grand nombre, nous pourrions tous travailler plus efficacement en ce qui concerne l’agriculture et la pêche.
Personne ne réagissait de façon négative à priori et Juan ajoutait que Cadiz avait son arsenal avec caserne et dépôts, ce qui suffirait amplement aux quelque deux cents qu’ils étaient.
Juan alors, demanda à tous de voter et de commentarier en maximum dix lignes, anonymement, question de guider sa décision. Eric remarqua que, dans cette petite communauté, la hiérarchie militaire était tout simplement respectée.

Rina avait établi une connexion radio fiable avec le ‘Groupe Est’. Rina avait inventé le nom. Les deux Beech atterriraient sur l’aérodrome de Malaga quand ils viendraient chercher Eric.
Le lendemain matin, avant le petit-déjeuner, avec tout le monde rassemblé dans la cantine, Juan appela à l’ordre. Il dit d’avoir lu les remarques de tous et qu’il avait décidé que les deux pelotons déménageraient le lendemain vers la base militaire de Cadiz, avec armes et bagages. Eric dit qu’il voulait voir ce mouvement en si peu de temps et Juan lui répondit d’un large sourire seulement.
Pendant les trois années que le Groupe Est s’était planté à Malaga, ils avaient continué leurs routines et exercices journaliers, question de s’occuper, comme fait toute armée en temps de paix.
D’abord, ils avaient nettoyé la caserne et enterré les morts. Ensuite, ils avaient équipé leur unité comme unité de combat, avec toutes armes, munitions et véhicules qu’ils purent trouver. Alors, tout avait continué comme si de rien était. Jour après jour.
Vers six heures du soir, il y avait soixante véhicules et quelque 190 hommes et femmes rassemblés. Les troupes en tenue de combat, les véhicules ‘carburados y municionados’ (avec le plein de carburant et de munitions). Une dernière inspection précédait le dernier repas du soir à Malaga.
Le lendemain, à sept heures du mâtin, deux Beechcraft chauffaient leurs moteurs sur le tarmac de Malaga. Nadia jetait un coup d’œil vers la tour de contrôle déserte, poussait la manette des gaz vers l’avant et la force aérienne de la Base Ouest décollait en formation. Cap au sud-ouest. Elles voyaient une colonne de véhicules, six groupes de dix, 250 mètres entre chaque groupe, deux motocyclistes les précédant et deux qui suivaient, comme prescrit. Nadia calculait une moyenne de 40 Km/h pour la colonne, 350 Km divisé par 40 = 9 heures environ de route. Ajoute une panne, un arrêt quelconque, ça fera douze heures.

Il était neuf heures du soir quand Hans guidait la colonne vers l’Arsenal. Un Pegaso était pris en remorque par la dépanneuse de la colonne. Eric dit à Juan qu’il reviendrait le soir du lendemain. Juan répondit qu’il n’en faudrait pas plus pour que ses troupes s’installent à l’aise
Le lendemain, dans l’après-midi, quelque deux cents personnes se rassemblaient dans l’une des grandes granges de La Familia, où des chaises et des tables provenaient du pillage d’une école. Tout le monde aidait tout le monde pour servir pain, vin, eau et poulet rôti en provenance de stocks congelés. Ute commençait à se poser des questions sur ces vieux stocks, d’ailleurs.
Juan prit Eric à part pour un moment et lui demanda qui, en fait, était le patron, Eric répondait que des élections présidentielles avaient désigné Mickey Mouse. Juan trouva cela très amusant

Le tout se passait dans la bonne humeur, mais Yanna commençait à réfléchir sur le thème de l’approvisionnement en nourriture qui devra s’organiser mieux. Peut-être qu’une forme d’autorité centrale s’imposerait. Yanna prit l’initiative d’inviter Juan, Alex et Nadia pour une conversation à ce sujet, une semaine plus tard.

Quand tous se réunissaient pour cette conversation, Yanna parla d’abord du problème d’approvisionnement en vivres et demanda si le Groupe Est voudrait participer à une forme de pêche organisée. Elle demanda aussi s’il y aurait une ou plusieurs personnes qui auraient une certaine expérience de l’abattage de (petit) bétail. Voilà ce qu’elle trouva de plus urgent.Ensuite, elle mentionna aussi défense et ‘autorité civile’.
Chaque question, au fait, contenait déjà sa propre réponse et un point suivant s’établissait tout seul : la population doit être maintenue et même augmentée pour assurer le futur.
Aussi, tous furent d’accord de se tenir le plus loin possible de ce qui ressemblerait, même vaguement à toute forme de ‘politique’ et de parlementarisme où l’on ne fait que parler, ce qui résolvait la question d’autorité civile. Hideki proposa que des mots comme ‘politicien’ soient officiellement déclarés insultes graves.
La pêche et l’agriculture étaient des points beaucoup plus intéressants. La Base Ouest pouvait livrer deux hommes pour le bétail, Groupe Est livrerait 30 personnes pour la pêche.
On décida d’organiser le tout selon la nécessité commune, de commun accord.

L’été vint et s’en fut, tous étaient occupés comme ils pouvaient, les trois communautés trouvaient une existence tranquille, on devenait presque paresseux, on cherchait des prétextes pour fêter n’importe quoi, on apprenait la langue Espagnole, les chats reçurent le statut de Dieux.

Une autre chose qui ennuyait un peu tout le monde était qu’ils étaient tous persuadés que le monde entier qu’ils avaient connu avait été attaqué. Mais il restait des questions : Par qui ? Pourquoi ? Et quoi maintenant ?
Pourquoi ? Surpopulation était une réponse possible.

Qui ? Pourrait être n’importe qui, qui aurait l’intelligence et la technologie pour le faire, ce qui excluait immédiatement le Zimbabwe et la Wallonie, mais cela ne laissait pas beaucoup d’autre choix.
Les militaires disaient que l’ennemi devait avoir un accès illimité à des facilités de trafics aériens, ce qui limitait le choix : USA, UK, Russie, Chine, Japon, Australie en faisait le tour.
Yanna posa la question las plus pertinente : Cui bono ? (Ça rapporte à qui ?). Elle en pensait le sien, mais ne le dit pas, vu que le sujet pourrait être considéré un peu trop sensible pour certains.
Cherchez la femme, dit Hans. Dame Fortuna, répondit Ute en y ajoutant que la Dame était passée chez elle. Ils avaient tout, excepté de l’argent. Tous rirent. Qui voulait de l’argent ? Pour quoi faire ? Raissa répondit que l’argent est la clef de tout.



Yanna, en y pensant, eut un frisson. Elle ne voulait même pas y penser qu’à brève ou longue échéance, on se retrouverait, encore une fois, dans un monde de politique corrompu sans exception et de banquiers internationaux trop puissants (oui, ceux-là). La remarque d’Ute n’était pas si drôle, au fait.
Imaginez-vous que ce soient vraiment ces hommes de pouvoir financier illimité qui aient organisé ’les évènements’ : un monde 'propre’, on peut tout recommencer et avec un peu d’effort, on pourrait mettre le ‘monde nouveau’ sous un seul régime plutocratique et tyrannique. Imaginez-vous que ces ‘Messieurs’ aient hébergé une centaine de milliers de soldats au crâne soigneusement bourré dans les milliers d’abris anti-atomiques de la guerre froide, tombés en désuétude.
On attend que le monde se stabilise un peu et ensuite on attaque, on met en esclavage.
Qui serait capable de tel plan ? Qui voudrait se saouler de pouvoir de telle façon ?
Deux questions auxquelles Yanna pouvait répondre facilement.
Plus tard, elle en parlait avec Eric et Juan. Juan parlait de ses études à l’Académie militaire, il préparait son brevet d’état-major. Il disait que, plusieurs fois, comme objet d’étude et d’exercice, ils avaient pensé des situations dans lesquelles un seul groupe, uni sous un seul motif, pourrait se lever et mener action. Ça s’était vu dans le passé.
Yanna demanda quel groupe pourrait avoir ‘argent’ comme motif commun. Juan répondit que cela pourrait être n’importe qui et qu’il pouvait facilement s’imaginer un ‘groupe’, obsédé du cocktail mortel d’argent, pouvoir et religion durant les vingt derniers siècles. Du Mammon. Yanna et Eric ne dirent rien.

Septembre de la troisième année.
Les jumelles qui avaient maintenant dix ans reçurent de leur papa une petite voiture de golf électrique qui leur plût énormément.
La petite Ortrud ‘aidait’ maman avec la cueillette des tomates. La chaleur torride d’Août s’était dissipée, il faisait bon. Un chat dormait au soleil et le ciel était d’un azur lumineux.
À ce moment-là, Ute vit que sa fille fixait le ciel du regard. Elle regarda, elle aussi, et vit une toute fine ligne blanche, très haute. Ça lui fit penser à une traînée de condensation des avions de ligne qu’elle avait vu si souvent dans le passé.
Instinctivement, elle appela Rina, occupée dans la maison, mais qui accourut, pensant que quelque chose était arrivé à Ute.
Rina vit ce qu’Ute lui montra. Elle ne dit rien, courait en haut de l’escalier, prit sa caméra, mit son enregistreur sur ‘scan’ et appela Nadia et Elena par le VHF.
Une heure après. Conseil de Guerre chez La Familia.

Puisque Nadia était la plus gradée et aussi la plus âgée, on l’écoutait en premier. Raissa était un peu nerveuse, Nadia était d’un calme olympique.
Nadia disait que ce n’était certainement pas une mouette égarée. C’est très haut et rapide et la trace de condensation ne ressemble pas du tout à un avion de ligne. Trop rapide aussi pour être un ‘business jet’ , donc il ne reste pas d’autre option qu’un avion de chasse, pilote militaire. Nous ne pouvons pas faire plus que de deviner d’où il vient. Je ne peux rien dire de plus que de suggérer de boire un verre à la santé d’Ortrud et de sa maman.

- Nous savons déjà quelque chose, dit Yanna
- Nous savons plus que ça, répliqua Raissa
- Comment ça ?
- Le chasseur vient de quelque part et nous pouvons peut-être deviner d’où. Le pilote n’est pas seul, il faut approvisionner en carburant, contrôler, munitionner et probablement pas que pour le ou les canons. Les roquettes ne sont pas des choses qui se manipulent facilement avec une ou deux personnes. Si nous voulions, maintenant, avoir un avion de chasse opérationnel, il nous faudrait au moins dix personnes.
- Il s’y ajoute, dit Juan, que si ce serait un vol de reconnaissance pour voir des personnes, pourquoi se servir d’un avion de chasse, qui vole très haut. Est trop rapide, a un rayon d’action limité et a besoin d’une piste très longue ? Ça me semble bizarre.
- Nous ne savons pas ce que c’est, dit Nadia, ça a un rayon d’action entre les deux et quatre mille kilomètres, un temps de vol de quatre heures environ, tout dépendant de comment il est équipé. Sa base peut être lointaine ou proche. Nous ne savons pas, non plus, ce qu’il veut. Je propose que, pour l’instant, nous le considérions comme ‘ennemi’ et que nous montions la garde à l’avion.
- Bien, dit Juan.

Ce soir-même, Nadia demanda Elena, Raissa, Mikhail, Yuriy et Vladimir de venir à son ‘bureau’. En uniforme.

- Ecoutez, dit-elle, Nous sommes quelque six mille kilomètres d’où nous venons. Trois de nous sont pilotes certifiés sur Sukhoi Su-27, chasseur à grand rayon d’action. Nous avons un ékranoplan qui peut charger cent vingt tonnes. L’Su-27 pèse, chargé, maximum trente tonnes, ce qui résout un problème de pilote. Nous sommes confrontés à un problème, possiblement militaire, et les seules armes que nous avons sont six canons de 20 mm à tir rapide mais totalement obsolètes, avec lesquels on ne pourrait même pas toucher le Kremlin à bout portant. Je dis cela avec tout respect pour Juan et ses hommes, vous comprenez ce que je veux dire. Nadia pausait son discours en plein vol, pour lui donner de la puissance.
Mais, ceci est maintenant mon pays, dit-elle, je suis un soldat et nous le sommes tous et je crois que je, que nous, devons tous pouvoir défendre notre pays. Nous sommes entraînés pour cela, c’est notre vie. Les autres, respectueusement, écoutaient ce que cette Dame de cinquante ans, blonde solide d’un mètre quatre-vingt-deux, avait à dire.Ma vie entière est ‘avions’, depuis le jour que j’entendis que mon grand-père, en 1944, dans son Shturmovik Ilyushin-2, fut descendu par Hans-Ulrich Rudel dans son Junkers-87. Je sais quoi faire avec un avion moderne mais je n’ai jamais tiré un coup de canon ou de mitrailleuse vers un ennemi. Je n’ai plus l’âge d’avoir des enfants, mais, maintenant, je veux faire voir ce que je sais faire. Jacqueline Cochran, à soixante ans, pilotait des avions à réaction et elle était une américaine prétentieuse. Moi, je suis une ourse Russe, Tshërt Poderi ! (que les dieux me frappent).
Je Vous admire, remarqua Raissa avec un rictus pas trop gentil. Et qu’est-ce que Vous voulez faire maintenant ?
Voyons voir comment nous pouvons nous servir de nos Su-27, dit Nadia et planta son poing sur la carte avec force. J’espère que nous serons encore à temps, elle y ajouta.

Nadia expliqua son plan : ils avaient le personnel, dont trois pilotes de chasse, Juan pouvait livrer du personnel, ils avaient un ékranoplan lourd, ils savaient quoi prendre et où le prendre. Elle estimait qu’ils pourraient le faire en un mois et auraient besoin de quelque quarante personnes.
Elle voulait s’équiper de trois Su-27, une batterie AA Tunguska, une batterie de missiles ICBM nucléaires ‘Topol’.

- Trente ne suffisent pas, dit Raissa
- Soixante ?
- Soixante peut aller.
- Il faudra parler à Juan.
- Oui.

Devant une ‘assemblée générale’, Nadia expliqua son plan entier : ils chargeraient le grand ékranoplan de personnel, ravitaillement et une dizaine de Jeep en bon état, question de ne pas tomber sur quelque chose avec une batterie ‘plate’.
Deux femmes reviendraient avec un Su-27, qui avait un rayon d’action de 4000 Km, ce qui leur permettrait de ponter la distance de 6000 Km vers l’Espagne. Ils pourraient démonter partiellement un des Su-27 et le charger dans l’ékranoplan. Nadia voulait aussi y ajouter cinq moteurs de réserve, d’autres pièces détachées et des munitions.
Vasiliy aurait la supervision du transport des missiles Tunguska et Mikhail des Topol par la route. Il leur faudrait quelque cent hommes en tout, dit Mikhail.
Les Topol, chargés d’une charge nucléaire de 500 Kt sont réputés très fiables. Nadia pensait qu’il suffirait que l’ennemi sache qu’ils les avaient mais elle ne voulait pas avoir à s’en servir.

Le plan de Nadia ne buta sur aucun commentaire négatif. Une semaine plus tard, le grand ékranoplan ‘Lun’ était repeint en couleurs de camouflage et chargé de cent hommes et femmes avec armes et bagages, ainsi que 10 Jeep.
Nadia démarrait la génératrice afin de lancer les huit moteurs à réaction. Quatre mille cinq cents kilomètres de vol leur prendraient quelque dix ou douze heures. Après il leur faudra rouler pour atteindre leur ancienne base et y retrouver les matériels qu’ils connaissaient. Il y avait des avions en abondance en Espagne, mais apprendre un matériel qu’elles ne connaissaient pas n’est pas si facile que ça.

Toute l’affaire ressemblait à la folie totale à première vue, mais Nadia croyait qu’ils auraient une bonne chance de réussir. En route, tout le monde partageait son enthousiasme. Ils ne pensaient pas rencontrer grand monde en cours de route. Le temps était bon sans beaucoup de vent ni houle et dès qu’ils étaient au-dessus de la Mer Noire, leur but de voyage s’approchait vite.
Arrivés à leur ancienne base, ils virent que rien n’avait changé depuis leur départ de là, quelques saletés éparpillées par le vent mis à part.
Ils baissaient la rampe de chargement de l’ékranoplan, déchargeaient personnel, équipements et véhicules.
Après avoir installé leur campement, ils s’en furent en quête de dix camions, qu’ils trouvaient sur l’Avtobasa (parc à véhicules) de la base aérienne. Des MAZ-7310, 24 tonnes de charge utile, moteur Yaroslav de 500 CV. Bon début et temps pour le repas du soir.

Nadia réfléchissait. En fait, ils pouvaient abandonner provisoirement l’ékranoplan s’ils trouvaient un Su-27 à deux places, ce qu’ils trouvèrent sous la forme d’un Su-30 qui n’est pas beaucoup plus qu’un Su-27 transformé. Ils pourraient voler les trois avions à Malaga et puis revenir pour récupérer l’ékranoplan, il pourrait encore servir. Pas de démontage d’ Su-27.

Mikhail et Vasiliy partaient, chacun avec dix hommes et deux camions, l’un vers une position de missiles AA une dizaine de kilomètres en-dehors de la ville, l’autre vers un dépôt Topol à une centaine de kilomètres de là, en direction opposée.
Alex aidait avec la mise en service des deux Su-27 et de l’Su-30. Cela prit cinq jours et après les avions furent chargés de carburant au maximum.
Un jour plus tard, sur la piste, Nadia mit une cartouche de démarrage dans chaque culasse des deux démarreurs pneumatiques des moteurs et appuya sur le bouton.
Trois femmes, trois avions de chasse, six moteurs à réaction et un armement redoutable. Les dames saluaient leurs compagnons le long de la piste et six moteurs poussaient les avions vers le ciel.
Elles suivaient un tracé le plus possible au-dessus de la mer et le plus bas possible pour essayer de rester sous un radar éventuel.
Nadia donna aux autres l’autorisation d’armer leurs mitrailleuses. Ces ‘mitrailleuses’ sont, en fait, des canons Gryazev-Shipunov (GSh-130) de 30mm à tir rapide. 1500 coups/minute. 150 cartouches emmenées. La visée est assistée et une courte rafale de trois à cinq coups peut suffire pour détruire un avion ennemi. Elles n’en eurent pas besoin, leur vol se déroulant sans incident.
Trois heures plus tard, elles avaient parcouru les quelque 3500 Km qui les séparaient de Malaga. Nadia appela Eric par VHF en disant qu’elles atterriraient dix minutes plus tard sur la piste de Malaga. Eric répondit qu’Hans avait eu l’idée d’une reconnaissance de l’aérodrome de Cadiz-Jerez et qu’il avait, avec quelques autres, déblayé la piste de 2300 mètres de long. Et que deux semi-remorques de carburant étaient prêtes.

Nadia et Elena étaient de retour à leur ancienne base dans la soirée et s’occupaient à compléter leur liste de pièces de rechange à emporter pour les Su.
Il fallait deux semaines avant de pouvoir constituer une colonne de véhicules avec une batterie de missiles anti-aériens Tunguska et trois Topol avec leurs véhicules de support.
Les autres camions MAZ furent chargés de matériels, armes et munitions de toutes sortes, mille bouteilles de vodka et demi-tonne de caviar en provenance d’un dépôt militaire.
Le tout prit quelque trois semaines à préparer, mais s’emboîta finalement comme un puzzle géant. Chaque MAZ, il y en avait maintenant une trentaine, portait une mitrailleuse Degtyarev de calibre 13 mm.
Nadia estimait que le voyage serait plutôt long. À une vitesse moyenne de trente kilomètres à l’heure, cela ferait comme cent cinquante heures de route. Dix heures par jour pour ne pas trop fatiguer les chauffeurs. Quinze jours de voyage, donc. Elle y ajouta dix jours de pannes et ralentissements divers.
Nadia et Elena prirent congé des autres. Nadia emmena Elena à son ékranoplan qui avait déjà eu son plein de carburant à l’arrivée. Elles se saluaient et Nadia attendait qu’Elena passerait le Bosphore pour se joindre à elle. Ce qui fut une bonne idée. Elle était presque à la hauteur de Elena quand celle-ci appela Nadia en disant qu’elle se faisait tirer dessus.
Nadia, toujours en s’approchant, vit des traçantes tirées dans la direction générale de l’ékranoplan, traçantes venant de l’Est, naturellement.

- Il y en reste un seul de ceux-là dans le monde entier, pensa Nadia, il trouve une mitrailleuse et tout ce qu’il pense à faire est de tirer sur tout ce qui bouge, qu’est-ce qu’ils sont cons, nés cons, même, de mère laide, grasse et conne et de père mal rasé, con comme un balai.

La mitrailleuse était montée sur un 4x4 et Nadia vit trois hommes qu’elle envoya au paradis d’une courte giclée d’obus de 30 mm de fabrication païenne et de qualité supérieure.

- Merci, Ouest Un.
- Avec plaisir
- Dégâts ?
- Un instant.

Nadia inspecta l’arrière de l’ékranoplan.

- Ouest Deux
- Oui
- Pas de trous dans le gouvernai
- Ah non ?
- Non, tu n’as plus de gouvernail
- Je peux voler sans
- Oui, mais il te faut un ange gardien.
- Hein ?
- Faut pas te laisser seule, j’épuise encore un peu de carburant et après j’appelle Raissa pour prendre la relève, je consomme trop en volant aussi lente que toi.
- Compris.

Une demi-heure plus tard, Nadia put contacter Raissa et lui donna l’ordre de faire le plein et de venir surveiller Elena. Raissa arriva après trente minutes et Nadia continua vers Cadiz.

- Ouest Deux ?
- Bonjour, Ouest Trois.
- Un petit problème ?
- Me suis trop approchée du Connardistan
- Il en reste ?
- Faut le croire, va falloir y travailler avant qu’ils ne commencent à se propager comme des rats.
- Ton ange gardien est là
- Merci
- Bisou

Bisou’ ? Pensa Elena … hmmm.

Elena arriva à bon port et inspecta les dégâts pendant que Nadia rapporta à Eric, Yanna et Juan.

- Ils sont en cours de route, on peut les attendre ici dans trois semaines.
- Pas mal. Qu’est-ce qu’ils emportent ?
- Plus que le nécessaire, trois Topol, entre autres.
- Et en anti-aérien ?
- Des Tunguska.
- Wow, pas de la petite bière, ça.
- Avez-vous encore vu quelque chose ?
- Pas vu mais peut-être entendu.
- Comment ça ?
- Les chats entendent bien.
- Que veux-tu dire ?
- Ute se trouvait sur la terrasse avec son enfant. Ortrud jouait avec son chat quand le chat leva la tête et regarda vers le haut. La gamine regarda aussi vers le haut et dit quelque chose comme : chat écoute en haut, tu entends aussi, maman ? Moi, j’entends.
- Tout est possible.
- Oui, bien sûr.

Dans les semaines qui suivent, l’ ‘Etat Major Cadiz’ est un peu nerveux. Ils n’ont pas encore de nouvelles d’Alex et ne font pas de vols de reconnaissance pour éviter de se faire repérer.

Alex et sa colonne n’avancent que lentement et l’approvisionnement en carburant n’est pas facile. Les MAZ consomment plus que prévu et ils sont obligés de chercher des ‘stations-service’, ouvrir les réservoirs de la station, pomper, remplir etc. Ils durent le faire quelques fois jusqu’au moment où ils trouvèrent un dépôt avec des semi-remorques citerne. Il fallut deux heures pour en remplir une et trouver un tracteur qui voulait démarrer. Enfin, trente mille litres suffiraient pour le reste du voyage.

Après trente jours, ils s’approchaient de la frontière Espagnole à la hauteur d’Irun parce qu’ils avaient fait le choix de traverser la France par l’Ouest. De là, ils rejoindraient Cadiz en passant par Zaragoza et Madrid.
Quand, inévitablement, ils passaient en proximité de la base aérienne de Zaragoza, ils remarquèrent quelque chose qui retint leur attention : destruction partout, un trou qui ressemblait fort à un cratère de bombe près de la route principale. Des épaves aussi, noircies par le feu et cela devait être relativement récent, car la suie d’incendie disparaît rapidement. Avec ses jumelles, Alex vit aussi des cadavres décomposés, pas séchés comme pendant les ‘évènements’. Remarquable. Alex donna l’ordre de continuer par les routes secondaires, sans s’arrêter. La nuit, ils se serviraient de leurs ‘phares de guerre’, les chauffeurs se relayeraient toutes les quatre heures et devraient dormir et se nourrir quand ils pourraient. Il restait neuf cents kilomètres de route à faire.

Quarante heures plus tard, ils pouvaient communiquer en VHF avec la Base Ouest. Nadia alla à leur rencontre. Il était tard quand ils garaient leurs véhicules entre les bâtiments de l’Arsenal, que chacun déballait ses affaires personnelles et s’en allait dormir.

Grand rassemblement le lendemain midi, rapport et commentaires. Alex avait un inventaire du matériel apporté qui devait être installé / distribué au plus tôt.
Tous écoutèrent avec le plus grand intérêt le rapport de ce qu’ils avaient vu près de la base aérienne de Zaragoza. Alex disait que les destructions lui faisaient penser à une attaque aérienne. Il mentionna aussi des morceaux d’épaves qui donnaient l’impression qu'un avion se soit écrasé dans le prolongement d’une piste, dans les collines, car un des chauffeurs avait cru voir, au sol, une grande tache orange, près de là.

Nadia eut à réfléchir.

- Si je noue tout cela ensemble, dit elle, la conclusion pourrait être quelque peu inquiétante. Laissez-moi jouer de ma fantaisie pour combler les trous.
1. Alex entend, il y a longtemps, un groupe Espagnol mais rien de plus. Provenance inconnue.
2. Nous voyons une trace de condensation d’un avion de chasse inconnu au-dessus de nous, origine inconnue.
3. Nous voyons des destructions récentes, probablement d’une attaque aérienne, possiblement comprenant la destruction d’un avion en vol par un ennemi. Nous supposons un survivant qui aurait pu se sauver grâce à son siège éjectable, un des chauffeurs a remarqué ce qui ressemblerait à un parachute orange. Alors voici ma fantaisie : l’avion inconnu que nous avons vu, effectuait un vol de reconnaissance mais ne nous a pas remarqués. Le même appareil est vu à Zaragoza (par un radar ?) par un ou des avions amis. Au moins un avion Espagnol décolle, il en suit une querelle avec l’avion inconnu, pendant laquelle l’avion Espagnol se fait descendre. L’appareil inconnu bombarde la base, cause des destructions et tue quelques personnes, probablement du personnel militaire.
- Ce que tu viens de dire ne me paraît pas si fantaisiste que ça, dit Yanna. Il y a probablement aussi eu des survivants à Zaragoza, qui essayent de survivre là-bas.
- Ce que Nadia vient de dire pourrait s’accorder à la théorie de l’ennemi qui a attendu trois ans pour faire un tour d’horizon, dit Eric. Je crois que nous le reverrons bientôt.
- Je propose, dit Nadia, que nous allions voir à Zaragoza s’il y a encore des survivants. S’il y en a, ils pourraient en savoir plus que nous, peut-être savent-ils qui est l’ennemi. C’est un peu loin, mille kilomètres de mouvement qui peut être observé, et il faut faire vite. Nous serons plus discrets par la route qu’en avion. Juan, fais-nous voir ce que valent les Chasseurs Alpins.

- À Vos ordres, Major.
- Mille kilomètres de route ouverte, ça fait dix heures de conduite. Aucun sens d’y aller comme des malades à cent cinquante à l’heure, ça ne nous apporterait que des accidents.
- Cinq Jeep avec remorque dont un comme porte-carburant pour éviter de chercher. Mille cinq cents litres pour l’aller-retour. Deux gars par Jeep, armés et comme ça on peut emmener quelques personnes au retour si nécessaire. Rina, peux-tu nous dire comment maintenir contact radio sur cette distance ?
- Non, pas vraiment, mille kilomètres en phonie, c’est loin, faut de la puissance et ça devient grand et lourd. Nous n’avons plus de GSM. La CB 27 MHz serait possible en théorie, en morse, en BLU (bande latérale unique) mais ce n’est pas fiable. Mais bien, je mettrai ici un poste fixé sur le canal 19 et je Vous en donnerai un aussi avec antenne et clef morse, ça marche en 12 V et s’installe très facilement. Je le mettrai sur enregistreur ici et j’écouterai chaque jour, de 2100 h à 2200 h.
- Merci.

Les distributeurs Chrysler-Jeep de Cadiz, Malaga et Jerez avaient déjà fait de bonnes affaires avec La Familia. Et pas de problèmes pour trouver cinq Jeep. Ils peignaient les véhicules couleur camouflage en motifs disruptifs, sombres en haut en brun/jaune sur les côtés. 48 heures de préparation et le Commando Nord partait pour Zaragoza, guidé en GPS.
Dans l’entre-temps, Mikhail et quelques autres du Groupe Est, localisaient des endroits un peu éparpillés pour placer les missiles. Les Tunguska dans les zones industrielles, cachées entre machines et hangars, les Topol dans ce qu’ils trouvaient comme tunnels routiers et de chemin de fer. En cas d’alarme, les lanceurs seraient faciles à ériger à l’air libre. Mikhail et Vasiliy commençaient un programme d’entraînement avec une trentaine de soldats Espagnols pour la mise en batterie des missiles.

Vers huit heures du soir, le Commando Nord atteignait le côté Nord-Est de Zaragoza sans encombre. Ils se garaient à l’ombre d’une colline et Juan donna l’ordre de reconnaître les environs et d’essayer de trouver des signes de vie.
Avec ses jumelles, un Sergent vit cette tache orange au sol, à un kilomètre environ de la base, au Nord. Juan prit deux hommes et s’y rendit en Jeep.
C’était, en effet, un parachute et, un peu plus loin, ils trouvèrent un siège éjectable de la marque Martin-Baker. Vide, le kit de survie manquait aussi, mais pas le petit radeau gonflable, jeté par terre. Les hommes examinaient aussi les environs immédiats et trouvèrent plus loin dans les buissons, un peu surpris, un autre siège éjectable, vide, lui aussi. Le parachute avait été roulé comme pour en faire un paquet. Au loin, ils virent les restes d’une autre épave. Au sol, ils virent qu’il avait été foulé, mais rien n’indiquait que les pilotes seraient blessés.
Juan pensait qu’ils se seraient rendus en ville, ce qui serait la meilleure façon de se cacher et de se loger.
Maintenant, il lui fallait trouver un moyen d’attirer leur attention et leur faire savoir qu’ils étaient amis. Il pourrait tirer une salve de mitrailleuse, on pourrait l’entendre de loin, mais pourrait aussi être mal interprétée. Il avait aussi une autre idée.
En ville, ils trouvèrent un drapeau Espagnol et un mégaphone.

Le lendemain matin, Juan fit installer une des Jeep au milieu d’un grand carrefour aux abords de la ville et le fit recouvrir du drapeau, bien visible.
Il fit tirer une rafale de mitrailleuse en l’air et ensuite se servit du mégaphone pour appeler … qui ?
- Oigan, oigan, somos soldados Espanoles … Écoutez, écoutez, nous sommes des soldats Espagnols, venez nous rejoindre au carrefour principal avec la rocade à la hauteur de la base aérienne.

Pour le reste, il n’y avait qu’à attendre et Juan fit répéter le message toutes les heures, trois fois de suite.

Ce que Juan et ses hommes ne savaient pas est que deux hommes les avaient vus dès leur arrivée. L’un, le Major Luis Gomez et l’autre le Colonel Ferran Lopez, Force Aérienne Espagnole. Ils n’avaient pas bougé, question de savoir à qui ils avaient à faire. En plus, ils avaient observé, une semaine auparavant, une colonne de véhicules inconnus comprenant ce qui leur paraissait être des lanceurs de missiles Russes, ce qui était vrai.
Alors, vers midi, Juan vit de la fumée verte soufflée vers lui de derrière un coin de rue. Juan et ses hommes se faisaient voir et, ostentatoirement, posèrent leurs armes par terre, bien en vue, avant d’aller vers là où on avait jeté le fumigène. Les deux officiers se firent voir aussi.
On saluait et les Espagnols se reconnaissaient entre eux, en camarade. Juan prit son temps pour expliquer la présence du matériel Russe. Luis et Ferran l’écoutaient attentivement et après, à leur tour, ils racontaient leur histoire.

Pendant les ‘évènements’, une trentaine d’officiers participaient à un exercice de survie ‘attaque nucléaire’ dans l’un des anciens abris anti-atomiques de la base : quarante jours sous terre après une attaque simulée. Des psychiatres et médecins voulaient étudier leur comportement sous le stress de l’isolement total. L’exercice s’était bien passé, mais ce qu’ils virent après les avait surpris, il y a trois ans. Après ils avaient vécu un peu comme La Familia.
Cependant. Il y avait trois semaines, un de leurs radars trouvait deux avions inconnus et qui ne réagissaient pas à leur signal IFF (Identification Ami ou Ennemi). Ils avaient été un peu lents à décoller deux de leur propres avions et la base avait déjà encaissé deux bombes et ils furent attaqués au décollage. Ils purent se sauver en siège éjectable et s’étaient cachés. Les agresseurs avaient disparu.
Il y avait vingt morts à la base, et le moral des autres baissait sous zéro. On décida de quitter la base. Un officier disait : ‘et maintenant je m’en vais enterrer ma famille’, montait dans le troisième F16 ‘de garde’, démarra son moteur, taxiait vers la piste, salua et disparut dans le tonnerre de la postcombustion.
Les autres, eux aussi, parlaient de famille et d’enterrements, ramassaient leurs effets et leurs armes, se trouvaient un véhicule et disparurent à leur tour. Ferran et Luis restaient seuls. Luis y ajoutait encore qu’ils avaient reconnu l’ennemi comme deux avions de chasse du type ‘Tornado’, arborant la cocarde Anglaise sur leur fuselage et ailes. Ferran dit qu’il ne comprenait pas comment des Anglais soient devenus ennemis de l’Espagne.
Juan pensait soudainement à la base Anglaise de Gibraltar, armée jusqu’aux dents et probablement aussi en possession d’armes nucléaires.
Juan pâlissait et prit la couleur d’un drap de lit blanc fraîchement lessivé. ‘Mecagoenlosclavosdelcristoyenlamadredelhijodeputaquelosclavo’ ! Jura-t-il d’un seul trait. ‘Il nous faut contacter le Groupe Est sans tarder’ !

Ferran s’y connaissait en radios et vers le soir, ils avaient une connexion CB qui pourrait fonctionner. Ferran s’y connaissait aussi en Morse. Juan rédigeait un message, dont il pensait qu’il serait compris à Cadiz mais prendrait trop de temps à l’ennemi pour le déchiffrer à temps.
Son message : ‘muy urgente, para grupo oeste de comando nord. claven pimpollo rojinegro en vez de la bandera. urgente. clavar pimpollo inmediatamente. Urgente. regresamos cuando clavado. contesten con letra s sola cuando buena faena hecha.
La traduction : très urgent. Pour groupe est de commando nord. plantez peuplier rouge-et-noir en lieu du drapeau. urgent. planter peuplier immédiatement. urgent. revenons quand peuplier planté. répondez d’une seule lettre s quand travail bien fait.
La signification : du temps de Franco, les Espagnols avaient juré de planter le drapeau rouge-et-noir de la Falange sur le rocher de Gibraltar. Topol se traduit par peuplier en Espagnol. Donc, plantez le Topol au lieu du drapeau. Autrement dit : donnez la base de Gibraltar (avec certainement des survivants) une charge de plutonium Russe comme avertissement à tous ceux qui furent impliqués dans l’attaque à Zaragoza. Faites-leur savoir que le temps de l’ Ancien Régime est passé, que ‘nous’ sommes prêts à combattre et que nous mettons définitivement fin à la connerie ‘démocratique’ de laquelle les banquiers sont les seuls à profiter.

Le Lieutenant Sorosa traduisait et expliquait à Nadia, qui comprit que le Commando Nord avait une bonne raison pour suggérer telle mesure draconienne.
Mikhail répondait que les Topol n’étaient pas le bon outil pour un travail à si courte distance d’eux-mêmes. Londres et Washington, oui, mais Gibraltar nyet. Trop près. Vasiliy voulut dire quelque chose.

- Oui ? Valya ? dit Nadia.
- Ehhh … Emm … nous avons, par mégarde, emporté un lanceur Tunguska IV au lieu d’un II. Ils se ressemblent beaucoup.
- Et ?
- Sol-sol, portée maximum 1000 Km, minimum 100 Km, douze missiles de 100 kilotonnes semi-tactiques, nucléaire, prêt à faire feu en douze minutes après ordre, temps de décamouflage y compris.

Nadia, normalement le calme personnifié, regarda Valya avec des yeux comme des charbons ardents et un petit rictus se forma sur ses lèvres.

- Valya, dit-elle, tire un seul coup : cible : la base Anglaise de Gibraltar, explosion à deux cents mètres de hauteur, si possible.
- À Vos ordres, Major !

Une demi-heure plus tard, une boule de feu engloutissait le rocher de Gibraltar. Dix fois la puissance d’Hiroshima en 1945. ‘Le Tonnerre Des Dieux’, pensa Nadia, tandis qu’un superbe champignon nucléaire se dissipait lentement au-dessus de l’Atlantique, vers l’Ouest.

Quelqu’un aura reçu le message’ dit Nadia, pendant que les autres se taisaient en toutes langues. ‘Et dites à Valya que je veux le voir après sa douche’.
Yanna ricanait et Rina envoyait dih-dih-dih, son s en Morse. Peuplier planté.

Ferran et Luis y pensèrent un moment de mettre en état deux F-18 qu’ils avaient en réserve, mais abandonnèrent l’idée à cause de la logistique que cela impliquerait.
Le Commando Nord s’aligna en colonne et retournait chez soi, en emmenant les deux officiers.


Hack Green, Cheshire, UK.

Il y avait quatre ans, l’abri gouvernemental nucléaire datant de la guerre froide et depuis longtemps ouvert au public, avait été fermé à cause de ‘travaux d’entretien’. L’abri avait été rénové complètement et mis à jour en équipements les plus modernes. Durant les ‘évènements’, il abritait cent cinquante soldats SAS triés sur le volet, une cinquantaine de ‘civils’, cinquante employés et personnel divers.
Un ‘civil’ était le chef, un certain Monsieur Blach, que l’on adressait de ‘Numèro Un’. Le sort du gouvernement Anglais réel était inconnu, mais on sait que le criminel de guerre Tony Blair avait été abattu comme un chien quelque part près de Londres et que son cadavre avait été jeté dans une décharge publique, bien à sa place.
Dans la Salle Des Cartes, il y avait une vingtaine de personnes qui discutaient de la situation dans l’abri hermétiquement clos depuis que Valya avait rendu inopérable la base de Gibraltar d’un missile qu’il avait marqué au feutre ‘na vashe zdorovye’, à Votre santé.
On n’était pas très content, là, en Angleterre. Qui avait tiré ? D’où ? Pourquoi ? Les Espagnols n’ont pas d’armes tactiques nucléaires, que des armes stratégiques, mais il leur faudrait les amerloques pour pouvoir s’en servir. Quelqu’un disait qu’il ne croyait pas que les Russes se serviraient de telle arme contre un but Anglais, et pourquoi ? A cause d’un tout petit, essai sur une petite base de merde à Zaragoza ?
Et qui disait que ce serait à cause de ça ?
Autant de questions, autant de non-réponses. Tout ce qu’ils savaient se résumait par les trois dernières secondes avant impact d’un missile relativement petit, photographiées en vidéo par l’un de leurs satellites qui fonctionnait encore. La qualité des images n’était pas très bonne, non plus.

Le gros Monsieur Stephen Lucas au nez crochu interrompit tout le monde :

- Hein, Professeur, donnez-nous Votre avis. Vous nous avez assuré et convaincu que de toute cette merde de population, il ne resterait qu’une toute petite fraction de débiles mentaux prolétaires et certainement pas une force qui pourrait bombarder une de nos bases les plus importantes et la mettre hors service pour les dix mille ans à venir. Professeur, je ne sais pas qui ils sont mais ils sont les premiers à avoir effectué une attaque nucléaire réussie depuis 1945. Mêmes nous ne voyons pas cela comme une option. Je crains que nous n’ayons à faire à une puissance que nous ne pouvons pas sous-estimer. Dieu sait ce qu’ils peuvent faire de plus.
- Vous avez raison.
- Professeur, je Vous donne carte blanche. Vous avez vingt-quatre heures pour répondre à la question à cent livres : Que faire maintenant ? N’oubliez pas qu’un conflit global thermonucléaire n’est PAS une option. Nous voulons gérer le ‘Nouveau Monde’, pas le détruire.

Le Professeur s’inclina et quitta la salle.
Il était tard quand le Professeur rejoignit Lucas dans son bureau.

- Je n’ai pas grand-chose à Vous proposer. Tout ce que nous pouvons faire est parler avec ces gens, mais nous ne savons même pas qui ils sont.
- Et que disent les Américains ?
- Rien, je ne reçois plus de réponses, je crois qu’il y avait trop de survivants et qu’ils se soient fait avoir par les noirs depuis les problèmes d’il y a un an. Les EU sont un pays de grandes différences climatologiques et cela peut avoir influencé la dispersion du ‘spray’ en notre défaveur. Nous ne savons pas ce qui se passe là-bas. Nous sommes toujours sans nouvelles des deux vols de reconnaissance de l’année dernière. Tuer la population d’une planète est une chose, mais si on n’a pas le climat en main, ça en devient une tout autre.

- Écoutez, Professeur Schepple, ou Docteur Stern si Vous préférez, dit Lucas. Nous devons agir maintenant. Je Vous tiens personnellement responsable de cet échec. Il Vous appartient, maintenant, d’entrer en action au lieu de rester assis ici, sur Votre gros cul. Contactez-les.

Schepple s’appelle Stern ? Qui est Stern ? Quel est ce double personnage ? Qui fut tué à Genève ? Encore des questions en plus.

Juan et le Commando Nord arrivèrent au Groupe Est et les officiers furent reçus comme il se doit, à la Russe. Plus tard, un ‘de-briefing’ eut lieu à La Familia, où se tenaient toutes les réunions importantes.
Nadia, Raissa et Elena impressionnaient Luis et Ferran. Nadia demanda pourquoi ils n’avaient pas apporté d’avion pour pouvoir participer à des actions futures. Nadia balaya les explications de Ferran en disant qu’ils avaient des dizaines de camions dont on ne se servait plus. Juan l’interrompit en disant qu’on en reparlerait plus tard.

Il s’agissait surtout d’écouter le récit de Ferran et Luis. Yanna retenait que les avions étaient Anglais et Eric y ajouta qu’ils s’approchaient, peut-être, de quelques réponses à certaines questions sur le ‘quoi et comment’ des ‘évènements’.

- Le Nouvel Ordre Mondial, dit Yanna. Si c’est ce que je pense, nous pouvons nous attendre à un tas de saloperie de la part de ces ordures. Si nous savions où ils sont, tout cela peut être exterminé, pour de bon, en ce qui me concerne.
- Ils pourraient se trouver en Angleterre, dit Eric.
- Trois Topol sur l’Angleterre ? demanda Raissa.
- Pas assez, dit Nadia, mais nous pouvons aller en chercher d ‘autres.

Ute se mêlait à la conversation en disant que le dîner était servi et que, de toutes façons, on ne peut pas travailler sur un estomac vide.
La maison de La Familia, anciennement propriété des Comtes de Villanueva y Cabral, ressemblait un peu à un château et avait une salle de bal qu’Ute aimait bien pour y servir les Grands Repas.
Il y avait, aussi, quatre chats assis sur la longue table. Ute expliquait qu’Ortrud avait dit que les chats étaient si beaux et que tout repas en leur présence deviendrait plus beau aussi. Rin et Ruko étaient d’accord à cent pour cent avec Ortrud.
Chats De Table, donc. Et personne n’osa formuler d’objection. Certains jours, Ute ne pensait plus à ses fils morts. Elle avait Ortrud à leur place.
Le repas consistait de trois plats consécutifs de poisson, ce qui prouvait que les dix ‘Pêcheurs Militaires’, nommés par Juan, faisaient bien leur travail.
Légumes frais du jardin, fruits frais, vin vieux de la Rioja, fromage de chèvre qui était le résultat de deux ans de ‘recherches’ par les jumelles, Maîtres Fromagères.
Elles avaient aussi toutes sortes de volaille et vendaient les œufs à prix d’or. Toute la bande du Groupe Est avait pillé chaque joaillier en vue et les deux filles avaient, de temps en temps un peu l’air ridicule, malgré la beauté naturelle de leurs dix ans.

Eric et Yanna aidaient les autres comme toujours, et écrivaient la chronique de La Familia. Il y avait aussi un grand album de photos. Rina se perdait dans l’électronique et Hideki était médecin, pharmacien, psychiatre, kinésithérapeute, chirurgien et se fit aider par deux ambulanciers qu’il éduquait aussi à d’autres tâches.

Et voilà que Rina, deux semaines après, déboula des escaliers en hurlant YANNAAAAAAAA !!.
Yanna accourut.

- Kèkya ?
- Viens écouter !
- Quoi ?

Rina fit entendre l’enregistrement à Yanna.
- Ceci est la base Green en Angleterre. Ceci est un message pour les forces armées en Espagne. Nous voudrions un entretien avec Vos chefs pour échange d’idées. Si Vous avez une possibilité de téléphonie par satellite, appelez-nous sous le code ‘Soria’. Fin d’émission.

- Ils émettent çà en clair, sur 3500 MHz, tout le monde peut l’entendre parce qu’à grande puissance. Ils répètent leur message toutes les heures, en huit langues.
- Et ?
- Ils ont dû entendre le pétard de Gibraltar.
- Oui, probablement.
- Écoute, Yanna, ne touche pas à cette communication satellite qu’ils proposent. J’ai ce qu’il faut mais ils sauront immédiatement où nous sommes, à un mètre près. Je pense qu’ils n’ont aucune idée où nous sommes.
- J’appelle les autres.
- Ok.

Vraisemblablement, l’ennemi se sentait menacé. Nadia pensait que ce serait peut-être une bonne occasion de tenter de leur tendre un traquenard.

- lls ont peur, dit Nadia. Ils disent qu’ils veulent parlementer. Mon Q. Ils veulent nous localiser, rien d’autre. Et nous attaquer. Nous ne pouvons pas prendre ce risque. Mais, d’autre part, nous pouvons essayer une embuscade, trouver QUI ils sont et préparer une contre-attaque. Il nous faut gagner un peu de temps. Un ékranoplan en Russie avec personnel, préparer une douzaine de Topol. Nous installerons une communication par satellite, nous sommes équipés pour, mais je n’en ai encore rien dit pour mes propres raisons de sécurité.
- Rina, pourrais-tu installer un émetteur 3500 MHz dans l’Su-30 ? Nous pourrons les appeler de la Hollande, ou de l’Allemagne. Rina répondit qu’il lui faudrait 24 heures. Raissa lui donnerait un coup de main.

Ferran, Luis, Vladimir dans deux Jeep immédiatement à Zaragoza. Lieutenant Sorosa avec quarante hommes et dix MAZ aussi à Zaragoza, pour y charger ce que Ferran dirait, en pièces de rechange, d’entretien et de munitions. Ferran et Luis de retour à Cadiz, dès que prêts, préférablement sous le radar. Ensuite, dispersion sur Malaga.

Mikhail avec cinquante hommes par ékranoplan, vers la Russie, installer dix Topol, dispersés. Communication par satellite.

Yanna et Nadia en Su-30, poste de radio volant et traquenard.

Tous se mirent au travail pour implémenter le ‘plan diabolique’.
Fallait donner un signe de vie aux Anglais, en volant, du Danemark, en disant qu’ils étaient prêts à négocier avant peu. Communication de mauvaise qualité, laissant les Anglais dans l’ignorance de qui ‘nous’ sommes. Il fut donné aux Anglais l’interdiction formelle de survoler l’espace aérien Européen. Nadia pilotait l’Su-30 avec Yanna à bord qui produisait une belle imitation d’un accent Allemand pendant qu’elles volaient en rond au-dessus de la côte du Danemark, le plus bas possible. Raissa volait ‘en couverture’, deux kilomètres de là.

Il sortait des nuages, de nulle part, juste devant Raissa, en s’éloignant d’elle. Raissa n’hésita pas et une rafale d’une vingtaine de coups du canon GSh-30 fit éclater l’Anglais.

- Ouest un
- Parle, Ouest deux
- Un rat volant mort
- Compris, Ouest deux, retour à la base.
- Compris.

À la base Ouest, Eric vit la trace de suie noire que le canon avait laissé le long de l’aile de l’avion de Raissa.

- Roulement de tambour ?
- Vingt-deux coups en tout, et beaucoup de petits morceaux de Tornado.
- Anglais ? demanda Eric.
- Angliyskiy pashuk, rat Anglais, dit Raissa, pas comestible.

Un peu de saloperie brune-rouge collait le long du nez de l’Su.

On pensait que le chasseur Anglais était là par hasard, bien avant que Yanna ait prononcé son avertissement. Heureux hasard et un merdeux de moins.
Deux heures plus tard, Rina reçut la réponse en un seul mot : ‘Compris’.

Huit jours pour que Ferran, Luis et leurs hommes sortent trois chasseurs F-18 ‘Hornet’ de leur ‘réserve’ et qu’ils soient prêts pour voler. Deux que Ferran et Luis emmenèrent tout de suite à Cadiz et pour le troisième, Nadia emmena Ferran de retour à Zaragoza dans son Su-30 à deux places. Ils espéraient ne pas avoir été vus.

Pendant les jours suivants, il y avait encore trois autres contacts avec les Anglais, et Yanna réussit d’abord à les envoyer paître, mais fixa un rendez-Vous dès qu’elle sut que les Topol étaient prêts.

Fallait maintenant savoir comment se présenter aux Anglais. Nadia dit que ce ne serait pas une bonne idée de leur donner des renseignements exacts sur leur nombre, armement et identité de leur groupe. Faudrait que les Anglais pensent qu'ils soient très nombreux, très bien armés et, surtout, très décidés.
Hans suggérait qu’ils se présentent comme une force Hispano-Russe avec laquelle ils devraient tenir compte plus que sérieusement.
La rencontre se tiendrait loin de La Familia.

Ferran formulait un plan :

Nous sommes le groupe ‘Centre’. Nous faisons partie d’une force armée multinationale qui a pour but de protéger l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient contre toute influence de ceux qui ont pensé et implémenté l’attaque globale.
Rendez-vous sur l’aérodrome de Madrid-Torrejon, section Militaire, dans un bâtiment préfabriqué, signalé par un drapeau blanc portant une croix diagonale rouge.
Les Anglais sont autorisés de se présenter dans un seul avion non armé, emmenant un groupe de dix personnes au plus. Tout autre avion tombera sous le feu de la défense anti-aérienne.
La conférence ne durera pas plus de deux heures, après quoi les visiteurs devront retourner chez eux.
La langue sera l’Espagnol ou le Russe.
Vous serez attendus le trois Septembre, à 0900 heures précises.
Toute intervention contre nous par Vos troupes SAS ou similaires sera considérée Acte De Guerre et sanctionné par des tirs de missiles nucléaires sur Votre pays.
Ceci est à prendre ou à laisser.

Signé : Groupe ‘Centre’.

Juan rassemblait des hommes pour tout préparer à Madrid et ils partirent avec dix des camions MAZ et remorques.
Ne posez surtout pas de questions, mais Rina envoyait Rin et Ruko, qui avaient maintenant onze ans, avec les hommes de Juan. Hideki pensait, depuis son héritage Samourai, que cela leur ferait une bonne leçon d’être présentes à ce qu’il pensait être une rencontre historique. Si elles survivaient, ce serait de bon augure, au cas contraire, tout serait perdu de toute façon.
Les filles, en uniforme, portaient un pistolet SIG à la hanche. Hideki leur en avait appris le maniement et elles s’en tiraient admirablement malgré leur jeune âge. Il admirait surtout leur rapidité.
Elles n’étaient plus les petites filles innocentes du début. Leur environnement changeant les avait affectés profondément et Hideki et Rina préféraient les considérer comme jeunes personnes, plutôt que comme ‘enfants’ selon la racine Latine d’ ‘in-fans’, celui ou celle qui n’a pas de voix. La vie de La Familia les avait changé, aussi. Elles s’étaient trouvé des responsabilités, elles s’étaient un peu durcies aux réalités d’une vie sur laquelle pesaient l’incertitude, le désarroi occasionnel de ceux qui les entouraient, les changements, le fardeau de trouver une place dans un petit monde qui cherchait son identité. Mais elles continuèrent à porter leurs petites oreilles ‘nékomimi’ de chat.

Comme parlementaires iraient Nadia, Yanna, Alex, Ferran dans les deux Beechcraft.
Elena et Raissa voleraient en couverture au-dessus de l’aèroport, les Su-27, chasseurs longue distance, avaient la réserve de carburant pour le faire.
Tout matériel et uniforme arborerait cocarde ou insigne d'une croix rouge sur fond blanc.

Eric demanda ce qu’ils allaient dire.

- Nous les saluerons, dit Yanna. Et ça s’arrête là. Nous voulons savoir ce qu’ILS veulent nous dire. Ensuite, nous leur dirons que nous prendrons leurs dires soigneusement en considération et que nous y répondrons en temps voulu.

Eric ne pouvait rien y ajouter.


Le premier Septembre, une colonne comprenant douze porteurs Topol III arrivait, leurs moteurs Yaroslav V-12 fumant noir et bleu comme il se doit. Le jour même, Mikhail reçut l’ordre de commencer, au plus vite, le positionnement camouflé des engins.
Le lendemain, les deux Beechcraft, escortés par l’un des Su-27, se rendaient à Madrid, après quoi Raïssa, dans son avion de chasse, rentrait à Cadiz.
Une batterie de Tunguska, à Madrid, était placée entre les bâtiments de l’aéroport, dont le mât radar, entre les autres équipements, n’attirait aucune attention.
Dans le petit bâtiment préfabriqué, tout était prêt pour la réception des visiteurs, même un petit bar improvisé.
Pour le repas du soir, tous se rassemblaient dans l’un des hangars, où s’étaient installés les Chasseurs Alpins. Autour d’un périmètre assez grand, Juan avait fait installer leurs six pièces de 20 mm à tir rapide.

À huit heures du mâtin, tout le monde était déjà prêt et passaient encore une heure d’attente à base de café noir et cigarettes.

À neuf heures moins dix apparaissait un avion bimoteur Fokker turboprop. Juan fit lancer une fusée verte près du tarmac. Après l’atterrissage, une Jeep guidait l’avion jusqu’à l’endroit de la rencontre.
Cinq ‘Messieurs’ en descendaient, accompagnés d’une femme, leur interprète. Tous habillés de gris sombre.
Rin et Ruko accompagnèrent les visiteurs vers le petit bâtiment où les autres attendaient. Les visiteurs ne savaient pas trop bien quoi penser des deux petites filles de quelque douze ans, pistolet armé au ceinturon.
Quand les visiteurs étaient entrés et présentations faites, Yanna prit la parole en Espagnol.


- Chers visiteurs, le Groupe Centre Vous souhaite la bienvenue. Nous n’avons aucune querelle avec Vous et nous voulons entendre ce que Vous avez à nous annoncer, nous Vous écouterons avec grand intérêt. Veuillez prendre place. Thé, café ou autre chose ?

Le thé avait la préférence.
La délégation ‘Anglaise’ semblait consister uniquement de civils, ce que Yanna trouvait un peu suspect. Un certain Docteur Stern prit la parole.

- Mesdames, Messieurs, Vous faites donc partie des rares survivants de cette catastrophe qui a si profondément touché ce monde que nous avons connu, d’une maladie dont nous n’avons pas pu déterminer la cause, ni l’origine. Il appartient maintenant à nous, survivants de cet apocalypse, de construire un nouveau monde. Nous, Anglais, avons des siècles d’expérience en matière d’administration de très grands pays et nous Vous proposons de collaborer avec nous à cette tâche gigantesque. Je veux y ajouter tout de suite que cette entreprise impliquera d’immenses avantages à ceux qui feront partie de cette initiative en contrepartie de leur travail et responsabilités prises. Le bien-être du peuple a toute priorité, n’est-ce pas ?

Le Groupe Centre ne savait pas bien quoi dire en ayant écouté tel bavardage hypocrite, qui aurait pu venir tout droit de la bouche d’un Tony Blair. Nadia, elle aussi, devint de plus en plus nerveuse au fur et à la mesure que l’interprète traduisait.

Pendant qu’Eric formulait une réponse polie et prudente, Mikhail se trouvait sur la plateforme du toit de la tour de contrôle et vérifiait le camouflage qu’ils avaient appliqué sur le bâtiment qui servait de salle de conférence, un camouflage
de toile aux formes angulaires, ce qui rendait ce bâtiment quasi invisible du haut.
Mais, après l’arrivée des invités, tous drapeaux furent déplacés pour êtres mis devant et autour d’un autre petit bâtiment préfabriqué, à l’autre bout de la piste, celui-ci pas camouflé du tout, bien au contraire, avec même des véhicules soigneusement garés en supplément.
C’était une idée du Lieutenant Sorosa, on ne sait jamais…
Là-haut, Mikhail était en contact avec Raissa, qui survolait en hauteur.

Soudainement, il vint de nulle part : un A10 Thunderbolt ‘Warthog’ , le plus effectif des avions pour attaque au sol jamais construit. Un peu lent, mais très agile, massivement blindé et armé de son canon à tir rapide GAU de 30 mm, qui a une cadence de tir de 4000 coups par minute.
Mikhail put tout juste avertir Raissa, qu’une première rafale labourait déjà le bâtiment 'bidon’ du Lieutenant Sorosa qui servait de leurre. Une longue rafale des canons 20 mm des chasseurs alpins Espagnols essayait de suivre l’A10 quand, au loin, il effectua un large virage pour une seconde attaque.
Raissa allumait son radar et système de suivi de cible, poussait la manette des gaz à fond et donna la chasse à l’ennemi dans un hurlement de post-combustion.
Le radar de la batterie Tunguska se verrouillait déjà sur l’ennemi quand Raissa apparut et régala l’A10 d’une bonne rasade d’acier Russe qui n’eût pas d’autre effet que de délabrer quelques morceaux de tôle de ce même A10 au blindage très résistant.
Par sa haute vitesse, Raissa dût prendre un virage très large, ce qui donna à l’A10 l’occasion d’effectuer un second passage pour totalement éliminer son objectif, même sous le feu des six canons 20 mm des chasseurs, dont quelques projectiles touchaient leur but mais sans faire de dégâts.
Mais quand, après, l’A10 s’éloignait, il prit un missile Tunguska de plein fouet, ce qui, au loin, le mit hors service dans une boule de feu et de fumée noire.
Le tout n’avait pas duré plus de cinq minutes. Les chasseurs alpins avaient perdu une pièce de leur artillerie A-A et un seul homme.

Dans la ‘salle de conférence’, tous étaient couchés à plat ventre jusqu’à le Lieutenant Sorosa apparut et leur dit qu’il n’y avait plus aucun danger.

Quand le Professeur se leva, il regarda tout droit dans le canon du pistolet SIG de Yanna.

- Monsieur le Docteur Stern, dit Yanna, je croyais que nous Vous avions prévenu. Ou dois-je Vous appeler Schepple ? Ou qui que ce soit ? Maintenant, dites-nous qui est Votre patron. Le ‘Docteur’, très pâle, ne sut que dire, il balbutia quelque chose d’incompréhensible. Yanna essayait de le comprendre et s’approcha un peu de lui. Hors de sa vue, la dame-interprète sortit un pistolet de son sac à main, mais Rin fut plus rapide et la femme prit trois balles creuses de 9 mm dans le ventre. Le type de pistolet SIG qu’elle portait peut, en effet, tirer une rafale de trois balles, de sorte que le troisième projectile ait déjà quitté le canon, avant que le recul n’affecte la visée.

- ‘Tenno heika’ (dix mille ans à l’Empereur) dit Rin.
- ‘Banzai’ (hourra) y ajouta Ruko.

Pas mal pour une fille d’à peine douze ans. Ruko tint sa sœur par la main et dit quelque chose comme ‘le prochain est pour moi’. Nadia lança un regard d’admiration à Rin.

Quelques minutes plus tard, les cinq hommes, menottés, se retrouvaient chacun assis sur une chaise.

- Et maintenant je veux tout savoir, dit Yanna. Qui êtes-Vous, que voulez-Vous et qui est Votre patron ? Et je veux le savoir maintenant, tout de suite. Permettez-moi d’y ajouter que nous avons les moyens de réduire le Royaume-Uni et les Etats-Unis en petits tas de débris fumants, inhabitables pour quelque mille ans. Et non, je ne parle pas du petit pétard que nous Vous avons tiré dans le Q à Gibraltar. Comprenez-vous ce que je vous ai dit, Docteur? Ou voulez-Vous que je le répète ?

- Je Vous assure que nous sommes venus ici avec les intentions les plus pacifiques et honnêtes, dit Stern, pour s’en assurer que la population mondiale puisse se rétablir en paix et harmonie et que …

Stern prit un coup de crosse en pleine gueule.

- Arrête de déconner, gros cochon, dit Yanna. Ou préfères-tu jouer avec les enfants ?

Stern regarda son interprète qui, râlante, se vidait de son sang. Puis il vit la jolie frimousse de Ruko qui, souriante, lui poussait le canon de son SIG dans les bijoux de famille. Stern devint plus pâle que le cadavre d’un vampire.

- Ce sont des banquiers, dit Stern, il n’y a pas de ‘patron’
- Comme cas quatre-là ? demanda Yanna en regardant les compagnons de Stern.
- Oui, des banquiers et des politiciens, ils peuvent vraiment Vous aider, Madame, ce sont nos meilleurs collaborateurs, Vous pouvez vraiment leur faire confiance.

La face de Yanna virait au rouge pivoine. Ça, il n’aurait pas dû le dire.

- Ruko ?

Trois déflagrations en rafale. Un homme se renversait avec sa chaise et le visage de Ruko s’illuminait de son plus beau sourire.
- ‘Hanamaru’ (un bon point) dit Rin.

Yanna se fâcha.

- Je crois que tu ne m’as toujours pas compris, fils de pute puante, dit Yanna, tu vas me dire maintenant ce que sont Vos intentions réelles, sinon je demande aux enfants de te mettre une cravate Colombienne. Les Japonais n’ont pas oublié Vos crimes de guerre sur Hiroshima et Nagasaki et nous n’en avons rien à foutre que Vous soyez Anglais ou Amerloques. Tu me comprends, avorton de merde ?

Stern était au bord de la crise cardiaque. Alors, il accoucha. Il raconta comment la communauté internationale bancaire avait commandité et financé l’élimination sanitaire’ de la plus grande partie de la population mondiale, comment il avait été impliqué dans l’élaboration de la substance ‘C’ et comment naquit le plan de former un seul gouvernement mondial dès que la situation se stabiliserait, de préférence avec la collaboration d’autres groupes de survivants, s’ils ‘en valaient la peine’.
Toute l’explication dura une bonne heure. Alors, Stern, épuisé, s’affaissa sur sa chaise.
Yanna eut beaucoup envie de le donner aux enfants.

- Nom de dieu, fit Yanna, quelque chose nous a échappé. Cet A10 ne visait pas que nous, il est tombé dans le panneau et il a détruit ce qui lui avait été commandé, et cela impliquait Vous aussi, messieurs les Diplomates. Vos ‘patrons’ Vous ont trahi. Vous n’êtes pas si importants que Vous ne le croyez Vous-mêmes. Des diplomates jetables, donc. Quelle farce ! Tout devient donc un peu plus compliqué. Ou peut-être pas ? L’A10 a fait feu deux fois, ça, Votre base le sait. Qu’il soit tombé du ciel après et comment, ça, c’est à eux de le deviner.Par contre, s’il put faire feux deux fois, Vs patrons doivent croire qu’il ait accompli sa mission et que Vous, aussi, soyez éliminés. Maintenant, il nous ne reste plus qu’à savoir qui sont Vos vrais patrons. Ça peut prendre quelque temps, mais ce n’est pas le temps qui nous manque. Je crois que nous pouvons rentrer chez nous, maintenant. Nous prenons ces trois-ci avec nous. Que quelqu’un fasse sauter le Fokker Anglais et liquider les pilotes.

Tous étaient d’accord.

Avec les trois ‘diplomates’, menottès dans la benne d’un camion MZKT et sous bonne garde, tous rentraient à la maison quelque dix – douze heures plus tard.
Raissa atterrissait avec pas plus que des vapeurs de kérosène dans les réservoirs de son avion, rageant que ce n’eût pas été elle qui avait descendu l’A10.

Hideki ne reconnaissait plus ses filles, même sans uniforme, en chemisette. Elles avaient un petit rictus sur le visage, ce qu'il n’avait pas vu auparavant. Il remarqua aussi qu’elles continuaient à bavarder joyeusement entre elles pendant qu’elles démontaient et nettoyaient soigneusement leurs armes, avec des gestes presque automatiques, comme si elles l’eurent fait cent fois.
Rina se dit que quelque chose avait dû l’échapper dans les mois passés, bien que le sourire de ses filles restait adorable comme toujours.
Ça fit penser Hideki à sa grand-mère qui, bien que brûlée horriblement durant l’attaque criminelle sur Hiroshima, souriait encore. Il pensait aussi à sa sœur cadette, née invalide.

L’atmosphère dans la maison de La Familia n’était pas des plus gaies, avec les trois Anglais, toujours menottés et agenouillés face au mur de la salle. Ute, gentille comme toujours, voulut leur donner quelque chose à manger, mais Rin lui arracha les écuelles de la main et en renversait le contenu par terre, les Anglais, pour elle, n’étaient que des chiens galeux.

Nadia dit quelque chose au sujet d’apprendre qui était derrière tout ça, mais y ajoutait que la grande salle de la maison de La Familia n’était pas l’endroit idéal pour une interrogation. On décida de transférer les prisonniers à la caserne de Cadiz. Ruko dit qu’elle et Rin iraient là-bas aussi, le lendemain. Rina protesta vivement et Hideki se levait même, quand Rin ‘posait’ son SIG avec force sur la table. Hideki n’insista pas.

Le lendemain, Rin et Ruko apparurent devant l’entrée de la caserne, dans leur petite voiture électrique. Pieds nus, chemisette et jupe, oreilles nekomimi, pistolet au ceinturon. Chaque fille tenait un lapin, poupée de chiffon, par la main gauche. Le gardien les laissa passer et elles se rendirent au bureau de Nadia.

Stern et ses complices étaient assis, chacun sur une chaise, près d’une table. Il y avait aussi Nadia, Alex et deux gardes. Les jumelles restaient debout, contre le mur, sans mot dire.
Nadia commença son interrogatoire, Alex traduisait. Stern, bien que très anxieux, répondait constamment de façon évasive, ce qui rendait Nadia tellement nerveuse qu’elle lança un court regard vers Rin, qui comprit et qui, sans émotion aucune, tira une courte rafale de trois balles dans le genou du ‘banquier’ le plus proche. L’homme hurla un instant de douleur, avant que son cerveau décidât de lui faire perdre connaissance.
Stern comprit qu’il se trouva maintenant coincé entre un mur en béton et un rocher et qu’il faudrait mieux de quand-même dire ce qu’il savait. Ce n’était pas grand-chose. Tout ce qu’il savait était que deux groupes s’étaient réfugiés dans d’anciens abris anti-atomiques qui dataient du temps de la Guerre Froide. Il en connaissait un seul, Hack Green. Des militaires y étaient sous le commandement d’un certain Monsieur Blach. Il estimait l’occupation du bunker à quelque cinq cents personnes. II y ajoutait qu’il y aurait aussi quelques groupes de survivants dans la nature. Voilà tout ce qu’il savait.

Ses dires suffisaient à Nadia. Stern et les deux autres étaient maintenant superflus, considérant aussi que l’A10 avait tenté déjà de l’éliminer, lui aussi.
Les jumelles s’en chargeaient et trois têtes éclataient en autant de rafales SIG. Nadia fit ramasser les déchets qui furent jetés dans une décharge qui se trouvait dans les environs.
Rin et Ruko, avec leurs lapins de chiffon, retournèrent à la maison. En cours de route, elles s’arrêtèrent pour cueillir des fleurs pour Rina, Ute et la petite Ortrud.

Le lendemain, on tint un autre ‘conseil de guerre’ dans la maison de La Familia.
Ferran trouva qu’ils se trouvaient devant un ennemi à ne pas sous-estimer et qui, en plus, voulait restaurer ‘l ’Ancien Régime’. On ne savait pas comment était équipé l’ennemi, mais on pouvait s’en faire une vague idée.

Yanna pensait que l’ennemi ne savait pas beaucoup plus que La Familia. Nadia ne pensait pas qu’on eût à craindre une réponse nucléaire de la part des Anglais. Ferran pensait à une recherche d’autres groupes de survivants à qui ils pourraient s’allier. Une alternative serait trois cents mégatonnes au-dessus de l’ancien Royaume-Uni, mais personne croyait que ce serait une bonne idée.
Juan proposait que l’on y pense à tête reposée et proposât une nouvelle réunion dans trois jours.
Ferran, en riant, y ajouta que l’on pourrait peut-être contacter les Chinois. Comme leur seul moyen de communication était la radio que tout le monde pouvait écouter, sa proposition fit aussi rire les autres.

Ortrud jouait avec un ballon rouge que Hans avait gonflé au butane et elle se rendit, avec son ballon, vers le poulailler des jumelles. Rin et Ruko aimaient beaucoup leur petite sœur et jouaient souvent avec elle.
Tout à coup, Ruko s’encoura vers la maison. Gravit les escaliers quatre à quatre et, un peu essoufflée, demanda a Rina si un ballon pourrait voler jusqu’en Chine.

- Pourquoi me demandes-tu ça ?
- Attacher une lettre à un ballon vers la Chine et dire aux Chinois de venir chez nous.
- Ça, ma fille, faudra que tu le demandes à papa, je ne m’y connais pas, en ballons.
- Nyaa (miaou).

Ruko dévala les escaliers, sauta dans la petite voiture électrique et se rendit à la clinique de Hideki. Celui-ci était occupé à faire un pansement à l’un des Chasseurs Alpins qui s’était foulé le pied. Elle attendit qu’il finisse et, ensuite, lui posa la même question sur le ballon. Ça fit sourire Hideki qui répondit qu’elle aurait besoin d’un très grand ballon et beaucoup de gaz pour le gonfler. Et où trouver ce gaz ?
Mais là, Hideki se tut et réfléchit.

- Tu sais quoi ? Va voir Ferran et pose lui ta question, il est pilote et ingénieur. Moi, je sais écrire quelques mots en Chinois.

Ruko trouva Ferran en conversation avec Nadia. Tous deux furent un peu étonnés de la voir arriver chez eux.
Ferran écoutait la question de Ruko et fit venir Juan à qui il répétait la question.

Il y a des ballons et des cartes météo à la station de la Sierra Nevada, dit-il. Et, pas loin d’ici, il y a un dépôt de gaz où nous pourrions trouver de l’hydrogène ou de l’hélium.
Allez, au boulot les gars, dit Nadia.

Le lendemain, tout le matériel était rassemblé, mais Ferran et Luis eurent encore deux jours de travail pour étudier les cartes météo et faire un calcul estimatif de vents, hauteurs et remplissage des ballons, de sorte que les ballons pourraient atterrir quelque part en Chine.
Chaque ballon portait un message, écrit en Anglais, Russe et Japonais et qui comportait une phrase en Chinois : ‘Apportez ce message aux autorités’.

Le texte disait : Nous sommes un groupe international de survivants de la catastrophe et nous essayons de nous refaire une vie dans le sud de l’Espagne. Nous nous trouvons entre Cadiz et Malaga.
Nous sommes armés de façon conventionnelle et nucléaire et sous sommes en confrontation avec un groupe en provenance de l’ancien Rouyaume-Uni, qui veut installer un nouvel ordre mondial, basé sur la ploutocratie et les anciens principes d’une religion criminelle. Nous estimons que cela est totalement inadmissible en nous nous permettons de respectueusement demander Votre aide et appui. Si Vous le désirez, Vous pouvez nous atteindre par téléphone satellite, chaque jour entre 2100 et 2200 heures Z, pour Zulu. En annexe, Vous trouvez une clé d’encryption pour communiquer. Nous scannons dix satellites asiatiques. Attention : nous ne comprenons PAS la langue Chinoise.
Signé : Le Groupe Centre.

La nuit suivante, trois grands ballons météo disparaissaient dans la nuit. Chaque ballon portait une boîte peinte en rouge fluo et une longue banderole rouge, qui serait bien visible par terre. Ferran estimait que le voyage durerait quelque dix jours, mais ils n’avaient aucune idée où les ballons atterriraient, mais certainement pas en Angleterre.

La vie de tous les jours reprit son cours et quelques autres réunions plus tard, on n’avait toujours pas de solution pour ‘le problème Angleterre’. Deux mois plus tard, on était toujours sans nouvelles de l’extrême orient.

Un soir, lors une de ces réunions, Yanna aborda un sujet un peu sensible : la procréation.
Que l’on ne le veuille ou pas, il fallait y faire quelque chose, avant qu’il ne soit trop tard, sous peine d’extinction. Il n’y avait pas d’autre choix.
Les autres trouvaient le sujet un peu épineux, eux aussi, mais la décision fut prise que Hideki examine toutes les femmes et commence par faire une liste de toutes celles qui soient aptes à avoir des enfants. Et elles n’étaient pas nombreuses.
Dix-sept des dix-huit de celles qui appartenaient aux chasseurs alpins, Rina, 35 ans, cas limite, Rin, Ruko et Ortrud oui, mais encore trop jeunes. Les autres hors limite. Hideki en était très conscient que des femmes de quarante ans et plus pouvaient encore avoir des enfants, mais il préféra de limiter les risques.
Yanna reçut l’ordre d’avoir une conversation avec les femmes en question pour leur faire comprendre qu’il était absolument nécessaire qu’elles avaient du pain sur la planche qui impliquerait l’utilisation de produits de la marque ‘Pampers’ et autres. Elles seraient libérées de toute tâche courante et la communauté prendrait la responsabilité de les entretenir. Elles ne seraient pas obligées de s’attacher aux pères, non plus.
Deux mois plus tard, dix-huit femmes étaient enceintes, Rina incluse.

Cela ne changeait pas grand-chose pour Rina qui dans son grenier aménagé continuait son travail d’informatique et de radio.
Ce fut vers la fin Décembre que Rina reçût un message inintelligible, venant d’un satellite qui fonctionnait encore. Quelqu’un, vraisemblablement, se servait de la clé d’encryption qui avait été envoyée en ballon. Elle crût comprendre que la vois féminine à l’autre bout, parlait Japonais. Immédiatement. Elle appelait les jumelles pendant qu'en Anglais elle demanda sa correspondante d’attendre. Elle dit aux enfants de parler avec la dame, pendant qu’elle appelait Hideki par VHF.
Hideki eut une longue conversation avec la dame qui se présentait sous le nom de Naoko.Rina avait appelé les autres pour qu’ils entendent le rapport de Hideki.
Réunion dans la grande salle où Hideki commença par dire que l’un des ballons, presque vide de son gaz, avait été trouvé sur une plage d’une île, Amami-Oshima, un peu au sud de Kyushu, où un groupe de survivants s’était établi.
Ils étaient nombreux, quelque trente mille personnes, dont pas mal de militaires qui étaient au travail sur l’île pendant les ‘évènements’, probablement sauvés par le fait que le vent avait tourné deux fois à un moment opportun et que pas plus de la moitié de la population de l’île n’avait été touchée. Le Kami Kaze, le vent divin, les avait sauvés.
Il y avait encore d’autres groupes de survivants ailleurs au Japon, mais ils n’avaient que de rares contacts avec eux. Ils avaient dit qu’ils ne seraient pas capables de venir en Espagne pour fournir de l’aide, mais que, par contre, ils pourraient envoyer un bateaux en Chine, pour y demander de l’aide. Ils en étaient certains qu’il y aurait certainement des grands groupes de survivants là-bas. Ils eurent terminé la conversation en disant qu’ils se rappelleraient le lendemain.
Une suggestion d’Elena d’aller, en Chine par la route, ne fut pas prise en compte.

Avec Hideki comme interprète, on expliquait aux Japonais que personne ne devait venir en Espagne, mais que l’on voulait parler aux chinois pour essayer de les convaincre d’aider à former un contrepoids contre les Anglo-Saxons.

Yanna et Nadia pensaient qu’il serait peut-être utile de pouvoir parler directement aux japonais et Elena dit qu’une bonne météo aidant, ils pourraient atteindre le Japon avec le grand ékranoplan, relativement rapide et sous tous les radars. Si les Japonais avaient du carburant, ils pourraient même atteindre la Chine et revenir. Il serait même possible d’installer un réservoir supplémentaire dans l’ékranoplan pour en cas.

Les Japonais répondirent qu’ils aimeraient bien rencontrer La Familia et que le carburant ne poserait aucun problème.
Ce soir-là la réunion dura plus longtemps que d’habitude. Qui ferait partie du voyage ?
Elena, Yanna, Nadia, Ferran, Hideki, les jumelles partiraient. Les autres ‘garderaient le fort’.
Le lendemain, on se mit à l’œuvre et l’on commença par charger l’ékranoplan d’un réservoir flexible de kérosène, deux Jeep, armes légères et munitions, nourriture et cadeaux pour les Japonais.Le ‘vol’ prendrait plus de 24 heures.

Les huit moteurs de l’ékranoplan poussaient l’engin en rase-mottes au-dessus de l’océan et, tant que la mer était calme, Elena pouvait arrêter deux moteurs pour économiser du carburant, vu qu’ils ne transportaient que soixante tonnes des cent vingt d’une charge maximale possible.
Vingt-six heures plus tard, le grand oiseau s’approchait de la côte d’Amami-Shima et ils furent guidés vers le petit port dans la baie de Setouchi par une vedette des Japonais.

L’ékranoplan put facilement s’amarrer et la réception fut très aimable, par un petit comité dont fit partie le Daimyo, que les Japonais avaient élu chef de leur petit état. Eux aussi avaient pris distance du système politique à bavardages qu’ils ne considérassent qu’une perte de temps et de ressources. Maintenant, ils n’avaient qu’un seul chef, autant civil que militaire et tous trouvaient que c’était très bien ainsi. On avait recommencé de s’habiller de façon traditionnelle et toute trace de l’occupation Américaine avait été effacée, même la plus petite étiquette de Coca-Cola.
Avec Hideki comme porte-parole, on pensait qu’il était le Daimyo de leurs visiteurs, car il parlait une langue civilisée. Toutefois, on trouvait ses gardes du corps un peu jeunes. On se demandait pourquoi il avait quitté le Japon.

Après un excellent repas, Hideki racontait l’histoire de La Familia, des Russes, des Espagnols et termina en expliquant comment ils se sentaient, maintenant, menacés par les Anglais.
Le Daimyo donna la parole à l’un de ses collaborateurs, le Colonel Toyoda.

- Nous n’en savons pas beaucoup plus que Vous, dit Toyoda. Nous aussi, nous avons essayé de contacter le reste du monde. Nous avons entendu des émissions radio d’un peu partout, mais très peu qui fut compréhensible pour nous. Nous avons ici quelques personnes qui parlent un peu le chinois et l’anglais, mais ça s’arrête là.
- Je comprends, dit Hideki.
- Vous savez que nous sommes un peuple de marins, continua Toyoda, et nos navires sont des meilleurs au monde. Il y a deux ans, nous avons rencontré une partie d’un équipage de baleinier, dont un officier. Nous avons aussi trouvé un tel bateau que nous avons transformé et adapté. Ce genre de navire peut résister à tout genre d’intempérie. Ensuite nous avons complémenté l’équipage de marins pêcheurs d’ici et avons fait pratiquement le tour du monde. Nous sommes probablement aussi passés près ce chez Vous, mais sans se faire remarquer. La Sibérie et l’Alaska sont presque vides, nous avons rencontré des Inuits et des Yup’ik qui nous ont dit qu’ils n’avaient vu aucun blanc survivant, au Canada non plus. Plus au Sud, en ce qui fut les Etats-Unis, nous avions aussi des contacts, mais uniquement avec quelques autochtones et noirs. Ils nous regardaient avec beaucoup de suspicion. Nous avions de la chance d’être sous le pavillon de guerre Impérial, le Soleil Levant, qui fut reconnu comme anti-amerloque. Selon leurs propres estimations, leur population actuelle se situe entre les cent mille et cinq cents milles survivants. Ils se sont plus ou moins séparés en deux groupes : les noirs dans le sud et les ‘indiens’ au nord, un ‘accord’ entre les deux communautés après avoir combattu ensemble contre les blancs, qui furent finalement exterminés, sans exceptions. À Washington, DC et à New York en premier lieu. On nous parlait de noirs qui voudraient émigrer en masse vers l’Afrique, mais ceci ne semble s’être fait. En Amérique du Sud, nous n’avons rencontré personne, mais il nous semble qu’il y ait des survivants. Au Moyen-Orient survivent chameaux et chèvres. L’Afrique nous semblait plutôt vide, tout comme une grande partie de l’Asie, mais la Chine semble différente. À Shanghai, nous n’avons rencontré que des militaires qui ne nous dirent pas grand-chose, mais qui ne nous semblaient pas hostiles. Toutefois, ils ne voulaient pas d’immigrants. Ainsi Vous savez maintenant autant que moi. Laissez-moi encore y ajouter que nous avons maintenant plus de poisson que jamais.

Hideki expliquait que La Familia ne voulait pas directement l’anéantissement nucléaire de l’ancien Royaume-Uni, bien qu’ils en eussent la possibilité. Ils voulaient demander aux Chinois, force nucléaire,  de prendre position du côté de La Familia, de telle sorte que les Anglais restent sur leurs îles et pour longtemps.

Le Daimyo comprenait très bien ce que voulait La Familia. Il ordonna ses hommes de faire venir un interprète pour accompagner La Familia en Chine. Il y ajoutait que cela pourrait durer une semaine mais que Hideki et ses compagnons étaient ‘invités d’état’. Ils seraient logés chez des particuliers. Rin et Ruko étaient très contentes.

Cinq jours plus tard, l’ékranoplan leur rendit, encore, de bons services et l’interprète, après un certain temps de vol, réussit à contacter les Chinois par VHF. Ils eurent à attendre deux heures avant de recevoir l’autorisation de s’approcher de la côte, près de la ville, où ils furent attendus d’une cinquantaine d’hommes bien armés.
Après quelques échanges de salutations, les Chinois leur dirent qu’ils seraient transférés vers la ville où ils pourraient rencontrer un Délégué des Autorités.

Après une bonne heure de route en camion, dans une caserne, ils rencontrèrent Monsieur Zhang, qui se présentait comme délégué du Comité Militaire de la ville de Shanghai. Il parlait un anglais convenable et dit que c’était un plaisir de pouvoir rencontrer telle compagnie internationale.

Il s’en suivit une longue conversation jusqu’au soir, interrompue de temps en temps par trois-quatre appels téléphoniques au « Directoire Central », selon Zhang.
Ils recevraient une réponse le lendemain et Zhang fit servir un repas plutôt élaboré et d’excellente qualité.
Zhang disait qu’il ne restait qu’un dixième de la population Chinoise, un grand nombre quand-même. Les militaires s’étaient regroupés et leurs premiers efforts furent de rassembler le plus possible de survivants dans les zones les plus propices à l’agriculture. Maintenant, ils en étaient à réorganiser l’état de façon civile et militaire pour obtenir une Chine ordonnée dans son autarchie.
Zhang y ajouta que ses supérieurs prenaient très sérieusement en compte le rapport de Yanna concernant les « Anglais ».

Le lendemain matin, Zhang fit savoir à ses invités qu’ils étaient invités à rencontrer les autorités à Beijing. Le soir, l’ékranoplan s’amarrait dans le port de Tianjin, où ils purent passer la nuit et d’où, le lendemain, ils furent emmenés à Beijing en train. 1.100 Km en deux wagons, Yanna, ses compagnons, et quelques militaires. Le deuxième wagon fit service de cuisine de campagne. Ils arrivèrent quelque vingt heures plus tard, fatigués.

Beijing était grandiose. Les Nouvelles Autorités s’étaient sises dans l’ancienne Cité Interdite. Le tout paraissait un peu vide, mis à part des ouvriers d’entretien et un certain nombre de soldats.
Au corps de garde, tous devaient vider leurs armes mais ne pas les abandonner. Un officier ouvrait grand les yeux quand il vit comment les filles, en chorégraphie, d’une main haute, firent tomber les deux chargeurs dans la main du préposé.

Ils furent reçus par le Général Ling, commandant en chef de l’armée Chinoise, qui leur dit qu’il était le chef du Gouvernement Provisoire de l’Etat Indépendant de Chine. Ling les accueillit chaleureusement et y ajouta tout de suite que les actions rapportées des Anglais avaient retenu tout son intérêt. Il était déjà au courant du voyage des Japonais en Amérique. L’Angleterre, dit-il, avec sa culture de conquêtes, occupations, oppression, argent et exploitation de ne devraient plus jamais, par ses banquiers, attaquer le monde libre de maintenant. Il serait mieux qu’ils restent sur leurs îles. Ling ne croyait pas qu’on doive se servir, maintenant, de l’arme nucléaire. Ling proposait d’en discuter à tête reposée et il fit servir un dîner plutôt spectaculaire. On reprendrait la conversation le lendemain.







Trois mois plus tard, à Bremerhaven, en Allemagne.

À quai chez Lloyds, un homme ouvre une vanne d’air comprimé et un moteur Diesel M.A.N. marin, après révision totale, fait entendre sa voix profonde. Cinq minutes après, son frère, jumeau, en fait de même.
Le sous-marin Type XXI, bâti en 1943, U-2540, renaît après des années de musée comme le Wilhelm Bauer.
Cela commença quand quatre membres d’équipage d’un sous-marin de la Bundesmarine, dont le Capitaine et le Premier Officier avaient survécu les « Évènements », en vacances dans les hautes-Alpes. À leur retour, ils étaient tout simplement restés ensemble. Ils avaient parcouru le pays et rencontré d’autres survivants. Près de Kiel ils avaient formé un groupe qui survivait de façon semblable de La Familia. Ils avaient aussi la radio, mais ne s’en servaient pas, trouvant que des contacts avec des groupes éloignés ne soient pas utiles.
Le Premier Officier avait eu l’idée d’armer leur « propre » bateau pour aller reconnaître le monde survivant d’après-catastrophe. Ce n’était qu’une idée, mais après quatre ans d’existence du groupe qui comptait déjà quelque deux cents personnes et que la vie devenait routinière, le Capitaine Behrens et le Premier Officier Oberleutnant Lentzer entreprirent un voyage à Bremerhaven.
Ils y trouvèrent le Wilhelm Bauer, le sous-marin musée à quai. Behrens se demandait, en blaguant, si le U-2540 ne serait pas le bateau idéal pour un long voyage. Alors, toujours loin du sérieux, ils visitèrent le sous-marin.
U-2540 avait été restauré après la guerre et avait ensuite servi de longues années dans la Bundesmarine comme plateforme d’essai pour divers systèmes neufs. Mis à la retraite, il avait été re-restauré dans son état d’origine de 1943. Et voilà un bateau idéal. En plongée, il ne devrait même pas se soucier des pires tempêtes, il pourrait naviguer en dessous. Grand avantage: un si vieux bateau n’aurait pas besoin de marins hautement qualifiés comme pour les sous-marins récents, bourrés d’électronique. Il suffirait de re-souder les deux panneaux d’accès aux touristes, n’est-ce pas ?

Les deux hommes, toujours trouvant leur idée totalement saugrenue, s’installèrent dans un hôtel de la ville pour y passer la nuit et le lendemain, ils rendaient visite au Musée de la Marine de Bremerhaven, où ils trouvèrent, dans les archives, toutes descriptions et même les anciens plans de construction du U-2540.

De retour à Kiel, ils étudièrent soigneusement les documents apportés et trouvèrent une vingtaine d’hommes intéressés par leur projet.
Un mois plus tard, on fit une inspection complète du U-2540 et l’on décida de le remorquer vers le wharf de Lloyds. Deux soudeurs se mirent au travail pendant que Behrens et les autres s’occupaient du reste de la re-mise en route.
Le travail prit onze mois et le « personnel » s’était accru à une bonne centaine.
Alors, Behrens considérait le bateau utilisable jusqu’à une profondeur de cent mètres. Il fallait quinze hommes minimum pour faire fonctionner toutes machineries. En route, ils devraient être donc une cinquantaine en trois équipes. Les quinze meilleurs feraient les premiers essais.

Deux petits remorqueurs servirent à transférer le bateau du quai à travers de l’écluse Nord jusque dans la rivière Weser. Restant en surface, Behrens ordonna les deux Diesel M.A.N. à cinquante pourcent, direction Mer du Nord et l’on observa le comportement du bateau. Dans l’après-midi, on fit un essai de plongée au-dessus d’un banc de sable, à vingt-cinq mètres.
Satisfait à quelques détails près, on rentra au port.

Il fallut encore un mois avant d’êtres prêts au départ d’un premier voyage.
En tout et pour tout, Behrens réussit à assembler un équipage de trente marins, dont deux femmes-électriciens. Ce serait possible, ils resteraient en surface et ne plongeraient qu’en cas de mauvais temps.
Oberleutnant Lentzer, lui avait insisté d’armer le bateau et, après avoir gratté dans tous les vieux dépôts, U-2540 se trouva armé de quinze torpilles et quatre canons anti-aériens de 30 mm, le tout ayant été installé pendant les essais faits par la Bundesmarine après la guerre.

Le bateau chargé au maximum de victuailles et autres nécessités, d’équipement moderne radio et GPS, on prit finalement congé de ceux qui sont restés à terre, et U-2540 passait l’écluse Nord, direction le large, direction de New York.
Le Capitaine Behrens avait décidé de longer les côtes de la Mer du Nord, Hollande, Belgique, France, Espagne pour y trouver signe de vie s’il y en aurait. Si le bateau se comportait bien, on essayerait ensuite de gagner New York.
Lentzer, Behrens et deux autres marins étaient de vigie, mais il n’y avait rien à voir. Le GPS passait toujours et ils firent aussi route la nuit, Behrens pensa que, la nuit, ils pourraient voir d’éventuelles lumières. En plus, ils s’approchaient du Pas-de-Calais.
Pas de lumière, plus de phares, rien, mais tout à coup on vit une énorme silhouette sombre. Lentzer ordonna machines arrière, toute. Et ensuite arrêt moteurs.

On alluma un phare et l’on trouva, ancré, un bateau porte-containers, quelque peu dérivé. Behrens fit sonder la profondeur : quatre-vingts mètres. On plongea et l’on se posa sur le fond pour passer la nuit. Question d’éviter des collisions. La rencontre avec le grand navire s’expliquait facilement, on était dans une des zones les plus naviguées du monde. Avant le désastre.

À huit heures du mâtin, on souffla les ballasts à profondeur de périscope et Behrens s’assura des environs avant de faire surface.
Ce porte-containers n’était pas seul. En s’approchant d’Anvers et de Dover, ils trouvèrent plusieurs autres navires, échoués ou ancrés ou simplement à la dérive, ceux qui ne réussirent pas à trouver un port pendant le désastre.
Behrens naviguait très lentement, constamment sondant la profondeur, à travers d’un « champ de bataille » d’une soixantaine de navires.
Après une heure ou deux, il remarqua quelque chose à travers ses jumelles. Il ordonna la plongée à profondeur de périscope, moteurs électriques au plus lent.
Contre un navire échoué, quelque chose était amarré, quelque chose qui ressemblait beaucoup à un sous-marin moderne et il vit même des marins affairés, vraisemblablement en train d’effectuer une réparation. Alors, il vit un rectangle rouge avec cinq étoiles jaunes. Des Chinois ? Des Chinois dans la Mer du Nord ? Behrens ne savait pas qu’en penser.

- Lentzer !
- Ja, Herr Kaleu.
- Regarde-moi ça !

Lentzer se mit au périscope.

- Des Chinois ?
- Ça en a l’air
- En Mer du Nord ? Que font-ils ici ?
- Aucune idée.
- Qu’est-ce qu’on fait ?
- Partir en douceur ?
- Leur mettre quatre torpilles dans le Q ?
- Des torpilles qui ont soixante ans ? Mon oeil.
- Toutes testées, leurs charges sont récentes
- Récentes ?
- Vingt ans
- Lentzer, es-tu de connivence avec l’ennemi ?
- C’est tout que nous avons.
- Je blague, Lentzer
- Hahaha, mon Capitaine
- Je ne crois pas qu’ils resteront longtemps là, attendons qu’ils partent
Oui, mais je voudrais savoir ce qu’ils font là
Moi aussi
Ach du Scheisse ! S’écria Lentzer
Quoi ?
Voyez.

Venue de nulle part, une corvette s’approchait à grande vitesse vers les Chinois qui n’avaient pas le temps de plonger.
Sans le moindre avertissement, la corvette ouvrait le feu de son canon Bofors de 50 mm à tir rapide et endommagea sérieusement le bateau Chinois.

- Chiens d'Anglais ! Fit Behrens

Il fit ouvrir les tubes lance-torpilles d’U-2540 et ne devait même pas calculer une trajectoire. Il fit feu d’une salve de quatre torpilles. Pas moyen de rater la Corvette à six cents mètres et les torpilles auraient eu le temps de s’armer. Deux coups au but, deux fois trois cents kilos d’Hexanit. Les Anglais ne surent jamais ce qui leur avait frappé et en deux minutes, la corvette sombra.

- Surface !
- Oui, mon Capitaine !
- Allons voir si nous pouvons aider ces chinois. Ces Anglais sont vraiment des cochons, ils ne sont pas en guerre que je sache, pas maintenant. On n’ouvre pas le feu sans avertissement, ça ne se fait pas. Et fais hisser un pavillon.
- Nous n’avons pas de pavillon.
- Hein ?
-Tout ce que nous avons c’est le vieux pavillon que nous avons trouvé ici.
- Et alors ?
- Kriegsmarine, seconde guerre mondiale.
- Ça ira, seconde ou troisième, nous venons de démonter un bâtiment ennemi. Un pavillon Marine de Guerre est très à sa place.

Heureusement, il n’y avait pas le feu dans le bateau Chinois et quelques marins s’étaient déjà frayé un chemin entre les tôles tordues. Behrens les adressa en Anglais, mais ne reçut qu’une réponse incompréhensible. On s’amarra et les marins Allemands aidèrent les Chinois, pansant les blessés, évacuant les morts et aidant où ils le pouvaient.
Le Capitaine Wang était blessé et s’entretenait tant bien que mal avec Behrens, tous deux ne parlant que quelques mots d’anglais mais on peut aller loin avec un peu de bonne volonté.

Wang demanda si Behrens pourrait atteindre « La Familia », à quoi Behrens répondit ne pas connaître cette famille. Wang voulait aussi savoir à qui il avait à faire et de quel côté les Allemands se trouvaient. Ou était Behrens un officier du Quatrième Reich ?
Behrens répondit qu’ils n’étaient qu’un groupe de survivants en partance pour un tour du monde pour rencontrer d’autres survivants. Wang répondit d’un sourire très Chinois. Sur quoi Behrens demanda qui était « La Familia ».

Wang répondit que ses ordres étaient de se rendre en Angleterre pour y affirmer la présence de l’armée Chinoise en Europe, ceci à la demande de forces armées puissantes et très anti-Anglo-Saxons qui avait déjà réduit Gibraltar en cimetière nucléaire. L’etat Chinois s’était rangé du côté de La Familia parce que leur position politique était très proche de la Chine actuelle.
Wang pensait qu’U-2540 ferait partie de forces alliées à La Familia. Il y ajouta que La Familia était composée d’Espagnols, de Russes, Japonais, Suisses, Flamands et qu’ils avaient de bonnes relations avec le Japon. Wang avait entendu dire que des gardes-du-corps de La Familia étaient des enfants Japonais, des très jeunes filles. Le quartier Général de La Familia se trouverait en Espagne, à Cadiz.
Wang et Behrens allèrent inspecter les dégâts.

Le bateau Chinois flottait encore à peine et était hors service.

- À combien êtes-Vous, demanda Behrens.
- Maintenant à quarante-cinq
- Il nous faudra faire avec, il nous reste de la place, déménageons donc.

Les Chinois vinrent à bord d’U-2540.
Finalement. Les Chinois avaient suivi les ordres. Ils avaient été attaqués même par les Anglais et maintenant il n’y avait plus de traces des assaillants. Les Anglais auront compris.
Wang donna l’ordre de saborder son bateau.

U-2540 navigua à profondeur de périscope hors du Pas-de-Calais, Behrens contrôlait un cours vers Cadiz. Il fit plonger à quatre-vingts mètres et se sentit bien mieux avec les Anglais derrière eux. Quand les batteries se vidaient, Il fit faire surface et ils continuèrent en Diesel, déjà beaucoup plus loin des Anglais.


La familia n’avait plus rien entendu ni des Anglais, ni des Chinois et l’on se demandait qu’en penser.
Mais ils eurent des nouvelles de façon inattendue et ce fut encore Rina qui, en criant, dévalait les escaliers. Yanna, Eric et Alex accoururent.
Par le VHF ils entendaient un appel en Allemand.

- La Familia, ici U-2540
- U-2540 ici La Familia
- La Familia, nous avons des naufragés Chinois à bord pour Vous. Nous nous trouvons à environ dix kilomètres au Nord de Cadiz. Nos demandons la permission de rentrer dans Votre port.
- Vous avez la permission, U-2540, avez-Vous besoin d’assistance ?
- Un pilote, si possible.
- Nous n’avons pas de pilote, mais nous sortirons un bateau de pêche, cela prendra une heure.
- Nous attendrons, La Familia.
- La Familia fin.

Grand chambardement et questions partout. Quinze minutes plus tard, Raissa et Nadia décollaient, Ferran et Luis restaient en réserve. Juan partait en camion avec vingt hommes et Mikhail fit décamoufler un Tunguska. Hans se hâtait vers son bateau et sortit du port.
Une heure plus tard exactement, U-2540 fit surface à un kilomètre du port. Hans allait à sa rencontre, avec trois hommes de Juan. Il fit signe à U-2540 de le suivre.

Les hommes Chinois et Allemands furent logés dans la caserne de l’Arsenal. Hideki s’occupa des blessés. Wang avec un de ses hommes qui parlait Japonais, Behrens et Lentzer furent invités à la maison de La Familia. Hans voulait parler aux deux « électriciennes ».

La rencontre fut chaleureuse et il y eut un point d’humour quand le capitaine Wang était persuadé que Hideki était Général.
Hideki ne mentionna point les « élections », mais dit que toutes décisions importantes furent prises de commun accord. Il évita le mot « communisme ».
Wang dit qu’il comprenait. Nadia et Raissa les rejoignaient.
Et pendant que Le Capitaine Wang racontait, Jutta Werners et Hannelore Mayer, les deux électriciens de U-2540 étaient attablées avec Ute et Ortrud autour d’une grande jarre de limonade en attendant Hans, attardé dans le port.
Ute voulait tout savoir sur la situation actuelle en Allemagne, s’il y avait beaucoup de survivants, même comment était le temps.
Jutta et Hannelore ne pouvaient pas dire beaucoup plus que la situation devrait être très similaire dans le monde entier, que çà et là des groupes essayaient de survivre et que l’on devait faire ce qu’on pouvait. Jutta y ajoutait que tout Recklinghausen, où elle avait habité, était mort. Elle croyait même être la seule survivante de la commune. Elle pensait aussi que son fiancé, Juergen Mauser était mort, lui aussi. Elle ne l’avait plus revu.
Ute pâlit

- C’était le nom de mon fils aîné, Juergen Mauser, il avait vingt et un ans. Mon autre fils, Erwin, en avait dix-neuf, je ne les ai plus revu.
- Ce devrait être lui, Juergen avait un frère qui s’appelait Erwin.
- Il me n’avait jamais dit qu’il avait une copine.
- Nous avions pensé mettre nos parents au courant plus tard.

Ute ne dit plus rien.

La Familia apprena que les Anglais s'étaient aperçus de la présence d’un sous-marin Chinois, que les Anglais avaient ouvert le feu dès qu’ils avaient reconnu le pavillon Chinois et que, un peu plus tard, la corvette Anglaise avait été soigneusement torpillée par un sous-marin Allemand, U-2540.
Les Anglais pourraient penser ce qu’ils veulent. Les marins Chinois, par contre, ne seraient pas rentrés chez eux en deux minutes. Ça deviendrait un voyage en ékranoplan.

On parla aussi de communications futures, mais ça deviendrait sujet d’une étude plus tard.

Maintenant, l’agriculture, la reproduction, l’éducation étaient les priorités absolues.
Ce serait une Longue Marche et Yanna espérait que tous feraient les bons choix. Le chemin vers Utopia était ouvert.

Fin.

Copyright R. A. De Meter 2010

Rougnac, le 3 juin, 2010.